L'auteure, Lucia Ferretti, est historienne et enseignante à l'UQTR
Ceux qui veulent ôter le crucifix à l'Assemblée nationale n'y voient qu'un signe religieux placé là par le premier ministre Maurice Duplessis en 1936 pour sceller l'union de l'Église et de l'État. Quant à ceux qui veulent le maintenir, ils disent qu'il y a belle lurette qu'on ne prie plus dans le Salon bleu et que ce crucifix renvoie désormais à l'héritage culturel des Canadiens français.
En fait, aucun autre objet sans doute n'appartient à autant de Québécois, au-delà de toutes les lignes partisanes, linguistiques, ethniques et même strictement confessionnelles.
Le crucifix a été, souvent douloureusement, l'objet par lequel Autochtones et Européens ont pris contact, d'abord par les missionnaires catholiques puis aussi par les missionnaires protestants.
De nos jours, les Amérindiens sont dans un processus de guérison pour retrouver leur spiritualité ancestrale, mais nombre d'entre eux viennent encore le 26 juillet à Sainte-Anne-de-Beaupré pour fêter la grand-mère de Jésus. Pour le meilleur et pour le pire, l'histoire a rendu le christianisme commun aux Premières Nations et à la nouvelle installée dans ce coin d'Amérique.
Évidemment, la croix, c'est aussi tout l'héritage des Canadiens-Français. Elle a été plantée sur nos chemins et accrochée dans nos maisons pauvres et riches, à la campagne comme à la ville. Nos ancêtres lui ont présenté leurs trâlées d'enfants, ils ont placé en elle leurs demandes, leur louange, leurs mercis, toutes leurs espérances parfois contre toute espérance. Si la langue a été la gardienne de la foi, c'est aussi la croix qui a permis de garder la langue.
Mais le crucifix, nous l'avons en partage même avec les conquérants britanniques, ces Anglais et Écossais anglicans et presbytériens. Nous le partageons avec ces milliers d'immigrants irlandais chassés de leurs terres par la maladie de la pomme de terre au milieu du XIXe siècle et dont les descendants, aujourd'hui, rassemblent tout le monde à la Saint-Patrick.
Nous le partageons avec les Italiens, implantés au Québec depuis la fin du XIXe siècle, avec qui tant de Canadiennes françaises se sont mariées et qui ont fait des pâtes Catelli un plat national.
Nous le partageons avec les Grecs orthodoxes arrivés ici après la Seconde Guerre mondiale. Nous le partageons avec les Haïtiens, seul autre peuple francophone des Amériques, accueillis à bras ouverts lorsqu'ils ont fui la dictature de Duvalier. Nous le partageons avec les Philippins et avec tant d'autres immigrants de partout sur la planète.
Un jour, je ne sais plus à quel propos, Duplessis jugea intelligent de dire à Peter Bercovitch, député de Montréal/Saint-Louis, qu'il était le seul juif de la Chambre. Celui-ci pointa alors le crucifix et répondit dignement: «Pardon, nous sommes deux!» Sait-on, par ailleurs, que Jésus est cité une bonne vingtaine de fois dans le Coran comme un des grands prophètes ayant précédé le Prophète?
Il est certain néanmoins que juifs et musulmans ne peuvent pas se reconnaître pleinement dans le crucifix. Or, on notera que personne parmi eux n'a jamais demandé à ce qu'il soit décroché. Sans doute est-ce par respect pour l'histoire de cette nation qui est aussi la leur.
Pourquoi faudrait-il retirer du siège de cette nation, l'Assemblée nationale, un objet faisant à ce point partie intégrante du patrimoine culturel de ceux qui, déjà là depuis toujours, ou implantés depuis des siècles, ou venus des quatre coins du monde, ont bâti le Québec jour après jour? Ce crucifix-là, c'est à notre histoire commune qu'il renvoie.
Pourquoi le crucifix à l'Assemblée nationale?
Le crucifix renvoit aussi au 26 juillet 1534 quand Jacques-Cartier, à Gaspé, prit possession des terres sur lesquelles il débarquait au nom du Roy de France en plantant une croix
Lucia Ferretti10 articles
Lucia Ferretti est historienne, professeure d'histoire à l'Université du Québec à Trois-Rivières. Elle est l'auteure de deux livres: Entre voisins, la société paroissiale en milieu urbain, Saint-Pierre-Apôtre de Montréal, 1848-1930 (Boréal, 1992) et L'Univ...
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Lucia Ferretti est historienne, professeure d'histoire à l'Université du Québec à Trois-Rivières. Elle est l'auteure de deux livres: Entre voisins, la société paroissiale en milieu urbain, Saint-Pierre-Apôtre de Montréal, 1848-1930 (Boréal, 1992) et L'Université en réseau, les 25 ans de l'Université du Québec (PUQ, 1994). Spécialiste d'histoire socio-religieuse du Québec, un autre livre sortira en septembre 1999 chez Boréal: Histoire de l'Église au Québec de la Nouvelle-France à nos jours.
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