Pour le français, langue fédératrice

Québec - le monde des idées


À quoi servent les langues? Peut-on en changer en y transportant son identité? Le célèbre linguiste Claude Hagège observe les transformations linguistiques du monde et favorise les prises de responsabilités qui incombent au citoyen comme aux décideurs. Avantages et inconvénients, donc, de parler français: l'essai, aussi sérieux que grand public, s'intitule Combat pour le français. Au nom de la diversité des langues et des cultures.
Cent soixante-quinze millions de francophones sont répartis dans le monde; le français est parlé sur tous les continents. Mais s'il a rayonné, on le sait, l'anglais le bat sur ce terrain, transporté par la puissance commerciale et économique d'un géant agressif et inventif en matière de propagation de son modèle.
La culture mondiale que Hagège examine sous divers angles, y compris sous celui des emprunts normaux, constitutifs à la vie des langues, est aujourd'hui irriguée par l'anglais, qui ne menace réellement que les langues minoritaires. Qu'en sera-t-il demain ? Un internaute sur sept, en 2005, était sinophone; le russe progresse beaucoup.
Langues nationales et plurilinguisme
Le cas de l'Europe est particulier, avec ses vingt langues depuis 2004. La politique atlantiste de la Grande-Bretagne fait douter certains de la vocation européenne de l'anglais. Néanmoins, le monde des affaires, y compris en France, comme tous ceux qui, de par le monde, croient aux vertus de l'anglais pour accroître leurs richesses, choisit de plus en plus l'anglais comme mode unique d'expression. Entendez : sans traduction. Jusqu'aux curriculum vitæ que la banque Paribas exige en anglais seulement.
Le combat du Québec, dans ce contexte, Hagège le rappelle, semble bien courageux. La partie du français est pourtant loin d'être perdue, car bien des faits contredisent l'idée que l'anglais est une langue facile et que les 900 mots diffusés commodément par les États-Unis pour les affaires suffisent à exprimer ses besoins, ses découvertes, ses innovations, ses négociations, son savoir, sa culture.
Hagège compte les points gagnés et perdus par les tenants du français ou de l'anglais comme langue internationale dans l'Hexagone. Il rappelle, exemple à l'appui, qu'un natif des langues romanes ne peut pas penser naturellement dans la logique agglomérante de sa concurrente. Que ses voyelles diphtonguées lui seront toujours difficiles à prononcer.

Le feuilletage des langues
Snobisme ? Position de force que la soumission et l'imitation reflètent, l'hostilité néolibérale à la diversité linguistique menace d'asphyxier notre monde et de le rendre terne. L'Union européenne réduira-t-elle les langues nationales à un usage privé ? La langue n'est pas un simple outil de communication, ni un idiome caractérisé par la neutralité. Et l'isolement actuel des États-Unis, malgré la diffusion d'Internet, peut renverser les courants de pensée qui, de la Russie à la Chine, s'inspirent en anglais.
Puis, il y a bien d'autres langues qui entourent ces rivales. On en compte entre 6000 et 7000, écrit Dominique Wolton, directeur de recherches au CNRS, dans Demain la francophonie. Cinquante pour cent sont en danger de disparition, et entre 20 et 30 langues meurent chaque année.
Wolton recense les médias, les enseignements, les instituts, les associations francophones qui gardent un potentiel dynamique pour faire rayonner le français. Il pense et écrit en amoureux éclairé de cette langue, disséminée et colorée comme on le sait. Mais les arguments d'Hagège, moins valorisants par l'idéologie, exposent plus crûment les choix qui s'imposent, les risques et les croyances en présence.
Il faut lire Espéranto, désespéranto. La francophonie sans les Français de la journaliste et écrivaine d'origine vietnamienne Anna Moï. Des six langues qu'elle connaît, dont trois asiatiques, elle dit le plaisir et les difficultés. Loin de Babel et de toute glossolalie, sa pratique richissime de la langue française honore notre langue et la sienne de son plein rayonnement poétique, expressif, précis.
Aucune langue n'est parfaite, explique-t-elle, quand il s'agit d'écrire l'indicible expérience humaine. La littérature, où les langues se polissent, n'est pas un club fermé; la francophonie est une nécessité : elle existe distinctement des questions de territoire et des divers élitismes. En effet, cet essai fait la preuve des nuances irréductibles -- «une réalité jubilatoire, généreuse, vivante», écrit Moï -- quand ses écrivains en dissèquent la mémoire et en révèlent les plis.
Collaboratrice du Devoir
Combat pour le français
_ Au nom de la diversité des langues et des cultures

Claude Hagège
Odile Jacob
Paris, 2006, 249 pages
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Demain la francophonie
Dominique Wolton
Flammarion
Paris, 2006, 196 pages
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Espéranto, désespéranto
_ La francophonie sans les Français

Gallimard
Paris, 2006, 67 pages


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