L'Afghanistan, le Liban, bien que contrées lointaines, ne sont pas sans influence sur l'image que le Canada projette sur la scène internationale. En effet, sur fond de lutte contre le terrorisme, la politique étrangère du gouvernement conservateur tend à privilégier la voie sécuritaire à la voie diplomatique. D'aucuns s'empressent dès lors de qualifier le Canada de pays fantoche ayant prêté allégeance aux États-Unis aux dépens de sa traditionnelle «neutralité». Charles-Philippe David, titulaire de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques de l'Université du Québec à Montréal, propose de moduler ces propos heurtés.
Reconnu pour ses visées internationalistes, le Canada ne s'est guère complu dans une posture d'introversion. Pour se mouvoir sur l'échiquier international, il a endossé un rôle de médiateur, d'entremetteur auquel certains ont attaché, en plus, un principe de neutralité. «Je pense, développe Charles-Philippe David, que cet aspect de "neutralité" était surtout lié à notre image de bon patriote onusien. Il ne faut cependant pas l'exagérer, car nous avons également fait des choix de défense et de sécurité très clairs et engagés.» Le Canada a également été considéré comme une puissance moyenne, avant de voir son rang de puissance décroître.
Jeu de distanciation et de rapprochement
Aujourd'hui, la perception de neutralité dont bénéficiait le Canada semble voler en éclats, et ce, plus particulièrement depuis le début de l'année 2006, parallèlement à l'arrivée des conservateurs au pouvoir. Il lui est reproché de s'aligner sur les positions américaines.
Certes, divers éléments viennent soutenir ce rapprochement, notamment en matière de lutte contre le terrorisme et de défense. «Mais, estime Charles-Philippe David, cette lecture ne correspond pas tout à fait à la réalité par manque de nuances.» Dans son histoire, le gouvernement canadien a su déjà faire preuve de distanciation à l'égard des positions américaines.
Ainsi, le 18 février 2003, Jean Chrétien, alors premier ministre, avait refusé d'envoyer des troupes canadiennes en Irak. De même, dans le cadre de la relance du projet de défense antimissile par George W. Bush, à la suite de son remisage par Bill Clinton, il n'avait pas consenti à collaborer, tout comme son successeur Paul Martin le fera en 2005.
Il est vrai toutefois que le gouvernement conservateur se rapproche des positions américaines sur divers points. «Stephen Harper s'est engagé à répondre à certaines des attentes de l'administration Bush.» Ainsi n'a-t-il pas nié qu'il pourrait y avoir une réouverture du dossier relatif au bouclier antimissile si celui-ci s'avérait servir les intérêts canadiens.
Un retour en arrière laissera toutefois entrevoir que le précédent refus des libéraux de participer à la défense antimissile n'était pas aussi catégorique, puisqu'ils ont accepté que le système de détection du Commandement de la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord (NORAD) soit utilisé dans cette optique. Le NORAD est une organisation militaire binationale, dans le cas présent canado-américaine, créée en 1958 pour défendre le continent nord-américain. Elle a été reconduite par un accord en mai 2006 et prend en compte, depuis, outre les alertes aériennes et aérospatiales, les alertes maritimes.
Un lourd tribut contre le terrorisme
Le renforcement et le prolongement de la présence des Forces armées canadiennes (FAC) en Afghanistan récemment adoptés par le gouvernement Harper constituent une autre illustration de sa préoccupation des intérêts américains. «Toutefois, ici encore la décision initiale de se commettre en Afghanistan, à Kandahar, et d'élargir la couverture "otanienne" de traque aux talibans dans le sud et l'est du pays avait été initiée par les libéraux.» Or, l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) ne bénéficie pas de la même légitimité que l'Organisation des Nations unies.
Nombreux sont ceux qui la considèrent assujettie à l'Occident. «Après une participation active à la guerre en Afghanistan et une augmentation considérable des dépenses militaires, écrivait Jules Dufour, président de l'Association canadienne pour les Nations unies, le Canada n'aura plus désormais la crédibilité requise pour rétablir, maintenir ou construire la paix. Il sera de plus en plus perçu dans le monde comme un allié inconditionnel des USA dans la prise de contrôle des ressources planétaires et de la population mondiale.»
Certains reportages, dont celui télédiffusé sur les ondes de France 2 lors d'un bulletin d'information de grande écoute en juin 2006, ont considérablement démystifié la mission canadienne, ternissant les objectifs de restauration démocratique ou de maintien de la paix et laissant planer un parfum colonialiste obsolète. L'engagement ferme et résolu des FAC constitue cependant un témoignage de la croyance du gouvernement à l'effet que la lutte contre le terrorisme passe par ce pays et que le Canada peut y jouer un rôle important, comme lors de ses implications antérieures sur la scène internationale.
À un autre chapitre, celui du Liban, le gouvernement n'a pas suivi la ligne de conduite traditionnelle du Canada, soit d'exiger un cessez-le-feu et d'engager toute sa diplomatie pour mettre fin aux hostilités. «Certaines déclarations de Stephen Harper, développe Charles-Philippe David, qui paraissaient justifier l'invasion israélienne ont pour le moins surpris les observateurs et un peu fragilisé cette image d'un Canada internationaliste à tendance "neutre" héritée de son histoire.» L'apport canadien à la recherche de solutions ou de compromis, soit à la résolution de conflits, perd du terrain.
Mais le développement des forces canadiennes, tant sur le plan humain que matériel, et l'attention portée aux questions de défense ne sont pas le cheval de bataille des seuls conservateurs. Les partis de l'opposition s'accordent pour y voir une priorité dont les modalités peuvent certes varier. «L'idée que la neutralité canadienne a été violée est surfaite. Le Canada n'a jamais été un pays neutre, ni légalement, ni politiquement. En outre, il faut séparer les aspects plus sécuritaires de notre politique de ses dimensions plus diplomatiques.» La politique étrangère canadienne a toujours été multidimensionnelle et multisectorielle. Internationaliste, elle s'appuie sur un binôme militarisé, l'OTAN, et diplomatique, l'ONU. Continentale, elle s'établit sur une défense conjointe avec les États-Unis de l'Amérique du Nord, tout en maintenant une orientation nationaliste pour défendre sa souveraineté et sa sécurité.
Collaboratrice du Devoir
Politique étrangère: Une image écornée
« Le Canada n'a jamais été un pays neutre, ni légalement, ni politiquement »
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