Armoiries racistes à Harvard

Plaidoyer pour la réflexion socio-historique

Tribune libre

À en croire monsieur Mathieu Bernier-Trudeau dans le texte "Complexes symboles de nos contradictions" (La Presse+, 3 avril 2016), le fait que l'Université Harvard décide de retirer ses armoiries racistes renvoyant au passé esclavagiste des États-Unis témoignerait, selon certains (dont il fait, à mon avis, partie), d'un présentéisme abusif quant à sa propension à juger le passé. En effet, entre autres en raison de l'indétermination évolutive des mœurs, les professeur(e)s et étudiant(e)s n'auraient pas dû juger le passé à l'aune des idées actuelles. Cela étant dit, je tiens à noter que mon propos ne sera pas ici de défendre le culte sans borne du moment présent qui est un enjeu bien réel des sociétés contemporaines, mais bien d'exposer brièvement mes réflexions en réaction à ce qui m'apparaît problématique dans la posture intellectuelle sous-jacente de l'auteur du papier en question.

D'abord, n'en déplaise à M. Bernier-Trudeau, les êtres humains sont des organismes vivants doués de capacités réflexives qui sont toujours déjà ancrés historiquement et qui, pour ainsi dire, autant comme sujet sociaux que moraux, réfléchissent, évaluent et agissent en ce monde à la lumière de leurs convictions!

Dans cette optique, la condition historique est notre fardeau, mais nous aurions avantage à la considérer également comme un devoir et une responsabilité individuelle et collective afin de modeler un avenir qui nous convient. Par ailleurs, d'où pourrions-nous parler au juste sinon du présent? Faisons de la plasticité sociale notre allié et favorisons les débats d'idées sur le passé sans lequel notre présent et notre avenir ne pourraient simplement pas exister! C'est en effet du futur dont il est question en fin de compte et sur notre capacité à lui donner forme! Ne laissons pas le relativisme socio-historique avoir l'avantage sur notre volonté de cerner la complexité humaine et osons utiliser la fluidité constitutive du réel comme tremplin afin de contrer la persistance de symboles de l'exploitation dans l'histoire.

Par opposition à M. Bernier-Trudeau qui semble voir la malléabilité de la réalité socio-historique d'un mauvais oeil, j'ai tendance à penser qu'il s'agit précisément là de la grande richesse propre à l'objet sociologique! Plutôt que de rester a-critique, donnons-nous le luxe de visiter le passé aussi longtemps que notre conscience historique, notre curiosité et notre aspiration à comprendre nous le permettront. Car comme l'a signalé le philosophe sociologue américain d’origine allemande Herbert Marcuse de manière fort éloquente en 1968 dans le livre "L'homme unidimensionnel : Essai sur l'idéologie de la société industrielle avancée" : «[q]uand le passé intervient dans le présent, il dévoile les facteurs qui provoquèrent les faits, qui déterminèrent les manières de vivre, qui établirent les maîtres et les serviteurs ; il projette les limites et les possibilités qui se sont offertes.» (Éditions de Minuit, 2009, p.124)

En définitive, on aurait tort d'interpréter ma vision comme un plaidoyer pour un contrôle idéologique de l'histoire "Officielle" à la manière du régime dictatorial dans le roman "1984" que George Orwell a publié en 1949, mais bien d'apprendre du passé et de favoriser la rencontre des idées dans l'optique humaniste de poser un regard critique sur le présent! Assumons nos jugements et nos convictions profondes à l'égard du passé et agissons en conséquence sur l'infime fragment de l'existence universelle qui nous est livré chaque matin à notre réveil! Pour ce qui est du cas précis de l'Université Harvard, je suggère qu'elle s'engage à mettre sur pied un musée historique où seraient exposés les vestiges racistes que l'institution aura (heureusement) décidé dans son histoire de critiquer et de mettre de côté!


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