Le cercueil gisait devant l’autel. L’Amérique était en pleurs. Les funérailles de George Floyd, sauvagement assassiné par un policier de Minneapolis, s’annonçaient comme un de ces grands moments de communion nationale dont les États-Unis sont capables. Jusqu’à ce que sa nièce, Brooke Williams, prononce ces mots terribles : « Quelqu’un a dit qu’il fallait redonner sa grandeur à l’Amérique. Mais quand l’Amérique a-t-elle été grande ? »
Comme si l’émotion donnait tous les droits. À commencer par celui de rayer d’un trait la Déclaration d’indépendance, Abraham Lincoln, la lutte contre le nazisme, le New Deal et le mouvement des droits civiques. Au-delà de l’allusion anecdotique à Donald Trump, cette phrase est une insulte à la mémoire de Martin Luther King, qui souhaitait justement que chaque citoyen puisse participer à cette « grandeur », quelle que soit sa couleur.
L’homme se retournerait dans sa tombe en entendant cette frange extrémiste du mouvement antiraciste, très présente dans Black Lives Matter, décréter que l’histoire des États-Unis se résume au racisme. Si celui-ci demeure le péché originel de l’Amérique, il n’explique pas tout, comme le croit le New York Times Magazine. Dans son 1619 Project, lancé l’été dernier, le journal a entrepris rien de moins que de réécrire cette histoire pour la faire entrer dans le nouveau moule idéologique. La démarche a d’ailleurs été qualifiée de « tendancieuse », « partiale » et « antihistorique » par plusieurs historiens respectés qui en ont profité pour relever des dizaines d’erreurs dans les articles.
L’initiative est fondée sur l’affirmation que « le racisme anti-Noirs est inscrit dans l’ADN de ce pays ». Elle fait donc débuter l’histoire des États-Unis en 1619, date de l’arrivée en Virginie du premier contingent d’une vingtaine d’esclaves africains. L’objectif était évidemment de faire de l’ombre à ce moment fondateur que fut la Déclaration d’indépendance (1776). Celle dont Luther King avait repris « les mots magnifiques », disait-il, dans son célèbre discours du 28 août 1963 devant le Lincoln Memorial.
Si l’histoire des États-Unis ne se résume pas au racisme, celui-ci n’est pas non plus la seule et unique explication de la violence policière. Une fois l’émotion passée, force est de constater que la réalité est plus nuancée qu’on ne le dit. Il est notamment faux de prétendre qu’un Noir interpellé par la police a plus de chances de mourir sous les balles des policiers. Cette fiction statistique s’effondre dès lors que l’on compare les chiffres, non pas à la proportion de Noirs dans la population (13 %), mais au taux de criminalité de chaque groupe ethnique.
Alors que les Noirs représentaient 37,5 % des personnes arrêtées pour ce qu’on appelle aux États-Unis « a serious crime », ils ne comptaient que pour 22 % des morts lors d’une interpellation. C’est ce qu’a révélé une enquête menée en 2016 dans plusieurs grandes villes américaines par Roland G. Fryer. Le professeur de Harvard concluait à « l’absence de différences raciales » en ce domaine même si les interpellations des Noirs étaient souvent plus musclées. Nous n’avons trouvé « aucune évidence d’une discrimination anti-Noirs ou anti-Hispaniques » dans les tirs mortels des policiers, concluait une étude semblable publiée l’an dernier sous la direction de David J. Johnson, de l’Université du Maryland.
Si le procès fait aux policiers est parfois justifié, il peut aussi être à double tranchant. Ceux qui ont suivi les manifestations contre la mort de jeunes Noirs à Ferguson, à Chicago et à Baltimore n’ont pas fait diminuer la criminalité. Au contraire, selon Fryer, ces villes ont connu depuis un millier de décès supplémentaires, surtout des Noirs. On assiste au même phénomène en France, où les accusations de « racisme systémique » ont amené la police à ne plus intervenir dans certaines banlieues. Résultat : les habitants sont laissés à eux-mêmes, quand les policiers ne tombent pas dans des traquenards.
Il y a toujours eu deux courants dans le militantisme noir. Un courant révolutionnaire et séparatiste symbolisé par le Black Panther et Malcolm X. Et un courant réformiste et républicain symbolisé par Martin Luther King. Le premier considère le « suprémacisme blanc » comme l’essence même des États-Unis. Selon lui, l’Amérique ne sera jamais quitte de la dette contractée à l’égard des Noirs au moment de l’esclavage. Si le racisme est dans l’ADN, comment s’en défaire ? En France, de Gaulle a eu beau être le champion des indépendances, les « décolonialistes » postulent eux aussi que les Français ne pourront jamais être pardonnés d’avoir colonisé l’Afrique.
« Ne croyez pas dans le rêve américain », écrit Ta-Nehesi Coates, disciple de Malcolm X et l’un des jeunes théoriciens de cette nouvelle guerre des races. Sa vision est radicalement opposée à celle de Luther King qui, dans son prêche du 4 juillet 1965, pressait l’Amérique de réaliser au plus vite cet « American Dream ». Pauvre Luther King. Rien ne lui sera épargné. HBO vient de retirer Autant en emporte le vent de son catalogue pour cause de racisme. Le futur Prix Nobel avait pourtant chanté avec sa chorale lors de la première du film à Atlanta en 1939.