Deux maisons neuves pourront être construites sous peu, de part et d’autre et à quelques mètres de la maison natale de l’écrivain en soutane Lionel Groulx, même si ce site historique faisait jusqu’ici l’objet d’une protection en vertu de la Loi sur le patrimoine culturel. Le terrain qui portait depuis 1872 cette coquette résidence ancestrale et des bâtiments de ferme est désormais scindé en trois bandes étroites.
Pourtant, selon le répertoire du patrimoine culturel du gouvernement du Québec, la protection dont jouit le lieu « s’applique à l’enveloppe extérieure des constructions et au terrain ». Une citation du genre invite aussi à mettre en valeur le bien culturel. Une plaque commémorative apposée à la maison souligne d’ailleurs l’importance du site.
L’administration du maire de Vaudreuil-Dorion Guy Pilon affirme au Devoir que cette protection, adoptée en 2005, concernait à son sens uniquement les bâtiments. Qui plus est, cette mesure visait seulement, selon elle, à encadrer « les travaux de restauration de la maison d’enfance de l’abbé, qui devraient respecter les matériaux et l’architecture de l’époque ».
La municipalité favorise de nouvelles constructions en ce lieu en évoquant les frais qui seraient engagés par le nouveau propriétaire du site si jamais celui-ci entendait rénover la demeure. « Les coûts associés à la restauration de ce bâtiment patrimonial et le fait qu’il n’existe pas de subvention disponible pour aider à la remise aux normes » ont encouragé cette division de la propriété, explique la Ville au Devoir. Aucune demande de restauration de la maison ne lui a été faite.
En décembre 2019, la ministre Nathalie Roy a annoncé des subventions aux municipalités pour l’aide à la rénovation des maisons patrimoniales.
« Outre les sondages que le ministère nous a fait remplir en début d’année où nous avons pu souligner que les villes avaient besoin d’offrir des subventions afin de mieux encadrer et protéger nos immeubles présentant un intérêt patrimonial, rien d’officiel n’a encore été donné à la Ville pour protéger son patrimoine », rétorque au Devoir la responsable du patrimoine de Vaudreuil-Dorion.
Questionné à ce sujet par Le Devoir, le ministère de la Culture et des Communications (MCC) contredit Vaudreuil-Dorion. Le propriétaire d’un bien patrimonial pareil est admissible d’emblée à des subventions, jusqu’à l’ordre de 20 % des frais engagés. Il pourrait de plus être admissible à un autre programme, à condition que la Ville prenne la peine de conclure une entente avec le ministère.
Pas d’intervention de Québec
Cependant, le MCC, dirigé par la ministre Roy, n’entend pas intervenir dans la préservation de l’intégrité de la maison natale de Lionel Groulx, même si la très forte personnalité de celui-ci a profondément marqué la trajectoire du Québec moderne. L’héritage intellectuel de Groulx, longtemps considéré comme l’historien national du Québec, a été fortement critiqué ces dernières années.
Le MCC se contente de souligner que « les municipalités du Québec sont autonomes dans la gestion des biens patrimoniaux auxquels elles ont attribué un statut juridique ».
La municipalité s’appuie sur ce manque d’intérêt de Québec pour agir à sa guise. Selon Vaudreuil-Dorion, « il faut comprendre que ce bâtiment n’est pas un bâtiment patrimonial reconnu comme bien classé ou un site patrimonial provincial ». En conséquence, « l’option proposée pour sauvegarder la maison a été la subdivision du terrain en trois [terrains variant de 1408,3 mètres carrés à 1778,9 mètres carrés] ». Des terrains étroits, en raison du fait que la propriété originale était implantée selon l’ancien mode de division des terres du Régime français.
Joint par Le Devoir, le propriétaire actuel, François Desnoyer, n’a pas voulu confirmer au Devoir son intention de faire construire sur ces terrains, tout en indiquant qu’il n’habitait pas la maison historique.
Pétition et injonction
Plusieurs citoyens ont déjà signé une lettre adressée au maire dans laquelle ils dénoncent l’attitude de la Ville dans ce qu’ils jugent être un saccage historique. On y lit ceci : « Il y a déjà plusieurs années, la Ville de Vaudreuil a reconnu formellement la valeur patrimoniale de ce site. Elle s’est ainsi engagée non seulement à sa conservation et à sa protection pour les générations futures, mais également à mettre en valeur ce bien, comme prévu par le ministère de la Culture et des Communications du Québec. Or, morceler ce site patrimonial en trois lots ne respecte pas l’engagement de la Ville de mettre en valeur cette propriété, en détruisant totalement son cachet ancestral », la nature du terrain donnant un sens à l’ensemble.
Un des anciens propriétaires de ce site historique n’en revient pas. Jean Hénault a d’abord regardé, au cours des dernières années, la propriété être laissée à l’abandon, après qu’on l’eut vidé de toutes ses antiquités. Il affirme avoir investi pour sa part plus de 400 000 $ pour lui redonner son lustre d’antan.
« Les maisons neuves vont être collées sur cette maison ancienne patrimoniale, dénonce M. Hénault. Il y a de très vieux arbres sur ce magnifique terrain, qui devront pour la plupart être abattus si on veut construire dessus, dont un magnifique mélèze centenaire. » Il n’hésite pas à parler d’un vrai gâchis patrimonial, puisque le terrain participe à la valeur historique du lieu.
Morceler ce site patrimonial en trois lots ne respecte pas l’engagement de la Ville de mettre en valeur cette propriété, en détruisant totalement son cachet ancestral
Jean Hénault évoque la possibilité de demander une injonction. « En plaçant ainsi des constructions neuves à proximité de constructions centenaires aussi importantes, ce sera une catastrophe. »
La Ville avait cru bon, il y a quelques années, d’utiliser une photo du site pour faire la promotion de ses activités culturelles, rappelle M. Hénault. « J’ai demandé au maire si les passants vont trouver que l’ajout de maisons neuves, collées sur ce lieu historique, va constituer à leurs yeux une mise en valeur intéressante… »
On a beau critiquer Lionel Groulx, dit M. Hénault, sa figure n’en est pas moins d’intérêt national, sans compter la valeur de la maison et des bâtiments qui l’entourent, lesquels présentent un haut degré d’intégrité.
Lionel Groulx évoque la vie de cette maison dans Les rapaillages (1916), un livre du terroir publié par Le Devoir. L’ouvrage connut un succès considérable. Sur les lieux, la grange en bois implantée en enfilade derrière la maison ainsi que le petit poulailler en bois évoquent toujours un passé agraire d’une époque disparue.