L'industrie québécoise du bois d'oeuvre ne digère tout simplement pas l'inflexibilité du gouvernement fédéral, qui refuse de retourner négocier des amendements à l'entente sur le bois d'oeuvre conclue le 1er juillet avec Washington. Le président-directeur général du Conseil de l'industrie forestière du Québec (CIFQ), Guy Chevrette, accuse Ottawa de «négocier pour les Américains» et de laisser tomber les industries canadiennes, largement opposées à cet accord, a-t-il dit hier lors d'un entretien avec Le Devoir.
Selon M. Chevrette, malgré toute la pression qui sera exercée par les gouvernements Harper et Charest dans les prochaines semaines pour faire plier les compagnies, l'entente est condamnée à mourir si Ottawa refuse de retourner négocier. Il rappelle que l'industrie a une forme de droit de veto sur l'accord.
Une perspective qui ne semble pas ébranler le gouvernement conservateur, qui a maintenu la ligne dure hier. En entrevue avec la Presse canadienne et à RDI, le ministre de l'Industrie, Maxime Bernier, a soutenu que «le temps des négociations est terminé», faisant ainsi écho à une affirmation faite la veille au Devoir par une source bien placée au bureau du premier ministre Harper.
Le ministre Bernier a déclaré que «le texte respecte l'entente de principe qui avait été approuvée par l'industrie au mois d'avril dernier», ajoutant que «c'est un texte bonifié qui est très bon». Maxime Bernier a même soutenu que son gouvernement était prêt à aller en élections sur cette question. Rappelons que les trois partis d'opposition aux Communes sont en désaccord avec l'entente et envisagent cet automne de voter contre le projet de loi qui devra mettre en oeuvre le texte. Il s'agira d'un vote de confiance.
L'affirmation du ministre Bernier a fait bondir le représentant de l'industrie québécoise du bois d'oeuvre. «Ce n'est tout simplement pas la même entente! Je le sais, c'est moi qui a reçu le texte de l'entente en avril et qui a présidé notre assemblée générale. Si on était d'accord à l'époque et qu'on est contre maintenant, c'est parce que ce n'est pas la même chose. Et je suis prêt à faire face à n'importe qui, que ce soit le premier ministre ou le ministre. Je suis prêt à en débattre à la télé s'il le faut», a répliqué Guy Chevrette, piqué au vif.
M. Chevrette soutient que la clause de terminaison, qui permet aux États-Unis de mettre fin à l'entente après seulement deux ans - plus une année de grâce -, n'était pas dans le texte en avril. Même situation pour le calcul des quotas d'exportation, qui devient mensuel. L'industrie québécoise exige plutôt un calcul sur trois mois, en raison des cycles très irréguliers du domaine de la construction. Le CIFQ veut aussi que l'entente soit valide pour un minimum de cinq ans. Deux demandes également énoncées par l'industrie de la Colombie-Britannique, qui rejette l'accord, tout comme l'Ontario et l'Alberta.
Guy Chevrette rappelle que les compagnies laissent sur la table un milliard des cinq milliards retenus par les États-Unis en droits punitifs. «On nous a dit: "une paix de sept ans, ça se paye, il faut laisser aller un de nos milliards". Mais là, on donne encore un milliard, sauf que la paix va être de deux ans. C'est cher payé.»
L'industrie canadienne est certaine que les Américains relanceront les hostilités dès que possible, comme ils le font depuis 30 ans. «C'est inévitable», affirme le vice-président exécutif et directeur général du Conseil du libre-échange pour le bois d'oeuvre, Carl Grenier. «On leur donne tellement dans cette entente que je vois mal pourquoi ils [les Américains] se priveraient de mettre fin à l'accord pour aller chercher plus.»
Ottawa inflexible
La position du gouvernement fédéral n'a «pas de sens» aux yeux de Guy Chevrette, surtout lorsqu'on la compare à celle de la Maison-Blanche, qui appuie sans nuances son industrie. «Tout le monde est contre à l'exception du gouvernement. Il négocie pour qui alors? Il négocie pour nous ou pour les Américains? On en vient à se poser des questions», lance-t-il, décochant au passage une flèche à Québec, «le seul gouvernement provincial qui n'appuie pas son industrie».
De passage en Autriche, le premier ministre Jean Charest a d'ailleurs invité les compagnies à la prudence. «Ce qu'il faut, c'est tourner la page. La stabilité ne viendra pas en espérant obtenir une entente parfaite. Ce ne sera pas le cas», a-t-il insisté, ajoutant qu'il comprend la position de l'industrie. «Nous ne décourageons pas les démarches entreprises par l'industrie pour améliorer l'accord», a dit M. Charest. Il n'a toutefois pas contredit son ministre du Développement économique, Raymond Bachand, qui soutient que c'est «un bon "deal" pour le Québec».
Selon Guy Chevrette, les amendements demandés «sont importants, mais réalistes». «Rien ne nous empêche de retourner négocier, affirme-t-il. [...] Le grand frère américain a beau être puissant, si on ne fait jamais appel à sa raison, on s'en va où?»
Le poids de l'industrie pèse lourd dans cette entente, puisqu'elle a une forme de droit de veto. En effet, si les dizaines de recours intentés dans ce conflit par les entreprises canadiennes ne sont pas abandonnés, l'entente tombe. Aussi, le gouvernement fédéral a exigé qu'au moins 95 % des entreprises ayant versé des droits punitifs lui cèdent la responsabilité de partager entre elles les quatre milliards retournés par les États-Unis. Il suffirait du refus d'une seule grosse compagnie, en vertu de cette dernière condition, pour faire achopper l'entente, a rappelé Guy Chevrette.
«Il faut qu'on y trouve notre compte, c'est clair, dit M. Chevrette. Sans des amendements sérieux, le blocage est acquis. Le gouvernement devra prendre ses responsabilités.» Une situation qui a fait dire hier au Parti libéral du Canada que l'entente est «morte-née».
Des pressions
Pour une rare fois, le président-directeur général du CIFQ s'est ouvert à propos des pressions que l'industrie subit depuis avril de la part des gouvernements afin que l'entente passe la rampe malgré les réticences. «Il faut arrêter de faire du chantage et de dire tout le temps "take it or leave it". Des ministres fédéraux et provinciaux appelaient les présidents d'entreprise pour leur dire d'accepter l'entente, sinon, il n'y aura rien pour les aider. La pression est énorme. Mais ce n'est pas comme ça qu'on négocie. Il faut le faire de bonne foi», affirme Guy Chevrette.
Ce dernier affirme avoir «senti la précipitation» du gouvernement fédéral. «Moi aussi je voulais que ça se règle vite, je l'avoue, mais pas au point d'oublier des pans de mur!» Carl Grenier ajoute que les fonctionnaires fédéraux ont «manqué d'expertise» au moment de signer l'accord final, il y a deux semaines. «L'industrie n'était pas à la table de négociation, dit-il. Il y a eu certainement un manque d'expertise pour qu'on arrive à ça.» Le vice-président exécutif et directeur général du Conseil du libre-échange pour le bois d'oeuvre affirme que le danger d'entériner une mauvaise entente est d'autant plus grand qu'une fois le texte signé, l'accord sera considéré comme une entente hors cour. «Ça veut dire que toute la jurisprudence en notre faveur devant les tribunaux de l'ALENA va tomber. On ne pourra jamais plus en profiter. Il faudra tout recommencer à zéro lors de la prochaine bagarre.»
Avec la collaboration d'Éric Desrosiers et de la Presse canadienne
Bois d'oeuvre
Ottawa «négocie pour les Américains», accuse Chevrette
Le représentant de l'industrie prévient qu'à moins d'être rouverte, l'entente est condamnée à mourir
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