Gérald Larose interviendra au colloque « Notre avenir, un dialogue public» du 19 octobre prochain organisé par l'Université McGill un an après la parution du manifeste Pour un Québec lucide
Par Gérald Larose
_ Président du Conseil de la souveraineté du Québec
Mondialisation! Il suffit d'annoncer le thème pour que les files aux quatre micros s'allongent. Un, les «farouchement pour». Deux, les «farouchement contre». Trois, les « y a rien à faire». Quatre, les « ça doit se faire autrement». Je suis de ceux-là. Le manifeste Pour un Québec lucide évoque le thème de la mondialisation à sept reprises, le tout faisant moins de dix lignes. L'essentiel est contenu dans l'expression «défi asiatique», évoquant à la fois un monde de menaces et un monde de promesses. En particulier pour le Québec.
La mondialisation! Naturelle?
Comme la marée, disent certains? Tout le contraire. La mondialisation libérale est une mise à l'écart systématique et volontariste du politique et des espaces nationaux dans la planification de la capitulation du démocratique pour libérer les échanges, accroître les marchés et être en mesure de magasiner autour de la planète les plus avantageuses conditions de production. Un complot? Non. Une organisation construite. Comme à toutes les périodes de l'humanité récente où les « grands» ont favorisé dans les échanges tantôt le protectionnisme, tantôt le libéralisme. Selon leurs intérêts. Selon les contextes. Habituellement de guerre ou de paix. Par ailleurs, à chaque fois et invariablement, il s'est trouvé des idéologues pour tenter d'ériger ces pratiques voulues en lois naturelles et des scribes complaisants pour répandre la nouvelle et prêcher «l'évidence». La réalité est qu'à l'instar de l'économie, la mondialisation est affaire d'hommes et de femmes.
Qu'en est-il de celle-ci? Très différente de toutes les autres.
D'abord par les masses : volumes inégalés d'investissements directs en pays étrangers. Par la nature aussi des acteurs et vrais décideurs, qui ne sont plus les commerçants et les industriels, mais principalement les financiers. Également par la transformation qualitative de lieux d'information-débat-décision (jadis nationaux et aujourd'hui internationaux). Ajoutées aux nouveaux rapports au temps et à l'espace que permettent les nouvelles technologies d'information et de communication, ces caractéristiques nouvelles de la mondialisation militent férocement pour la déterritorialisation du capital, de la production et de la circulation des biens et des services avec ses conséquences : fermetures, délocalisation, privatisation, déréglementation, érosion des politiques sociales, chamboulement des pratiques fiscales, etc.
La peste, en somme? Pas tout à fait.
La mondialisation libérale a permis une croissance importante de la production mondiale, une démultiplication du commerce international et l'inscription d'un nombre plus important de pays dans le circuit des échanges. Cependant elle l'a fait en confortant globalement la position de chacun. Les riches se sont enrichis. Les pauvres, appauvris. Vrai pour les pays et pour les individus. Avec comme particularité l'émergence d'«overclass», les turbos capitalistes, et d'«underclass», des franges de société totalement marginalisées. Deux classes qui partagent le fait d'être déconnectées de toute citoyenneté : les premiers créchés «dans tous les Hiltons de la terre»; les seconds terrés «dans les bidonvilles de toutes leurs villes». La mondialisation libérale n'a rien réglé des problèmes d'injustice, de répartition de la richesse et d'exploitation dans le monde. Au contraire. Avec en prime un début d'illustration de la finitude de la planète terre. Sept planètes terre ne suffiront pas pour que les Indiens et les Chinois atteignent les niveaux de consommation des Etats-Uniens!
Et le Québec là-dedans? Deux défis.
Dans le cadre de la mondialisation libérale : se redéployer pour ne pas perdre de terrain. Dans le cadre d'une mondialisation alternative à construire : s'allier aux pays ayant des pratiques économiques, démocratiques et sociales systématiquement plus égalitaires et solidaires. Dans les deux cas, c'est une exigence d'être un pays.
Lucides? Soyons-le!
La mondialisation libérale est essentiellement la mise en compétition des systèmes économiques et sociaux. Et qui dit compétition dit cohérence, cohésion, synergie, économie d'échelle et rapidité. À ce jeu, et dans la poursuite d'objectifs d'égalité, de solidarité et de prospérité, ce sont des ensembles moyens qui gagnent, les pays nordiques en étant un exemple patent. Grâce à une gouvernance faite de concertation sociale et de participation citoyenne et à la capacité de ces gouvernements d'activer tous les leviers d'un État pour faire face à la mondialisation libérale tout en maintenant les mêmes niveaux de protection sociale, ces sociétés ont procédé à des transformations majeures et rapides dans leurs politiques fiscales et sociales et dans l'ensemble de leurs institutions. Les ajustements ont été réalisés sans trop de heurt. Les résultats ont suivi. Ils ont pu le faire parce qu'ils sont des pays. Pour réussir, Québec pourrait ne pas l'être? On me permettra d'être dubitatif.
Cette mondialisation-là est un cul-de-sac. Mais une autre pousse sur le terrain, faite de la démocratie des économies de proximité, de souveraineté alimentaire, de commerce équitable, d'entreprenariat social cohabitant avec l'entreprenariat public et l'entreprenariat privé et d'échanges internationaux mutuellement favorables. Cette mondialisation solidaire porte des valeurs de coopération et s'insurge contre la spoliation de la nature et des nations, contre la marchandisation de tous les aspects de la vie et contre l'exploitation éhontée des personnes. Cette mondialisation émerge. L'octroi du prix Nobel de la paix 2006 à Mohammed Yunus, fondateur de la GrameenBank du Bengladesh, en est la plus récente manifestation. Le mouvement social québécois est formidablement actif dans la construction de cette mondialisation alternative. L'illustre bien, à l'occasion de la tenue du Sommet de l'économie sociale en novembre prochain, la venue des délégués continentaux du Réseau Intercontinental de Promotion de l'Économie Sociale et Solidaire (RIPESS) et ceux des Rencontres du Mont-Blanc (RMB), deux organisations promotrices de la construction d'une mondialisation plus sociale et solidaire. Mais le temps presse où, comme nation, le Québec devra se joindre à tous les pays qui travaillent au corps les grandes institutions internationales pour que ces dernières retombent aux mains des représentants des intérêts de toutes les populations et non plus des seuls financiers. Seule une coalition des petites nations progressistes, en lien avec les pays les plus vulnérables de la planète, réussira à faire advenir ces réformes.
Tout en soulevant des questions majeures pour l'avenir du Québec, le manifeste Pour un Québec lucide nous avait fait la surprise de ne point se commettre sur la question de la souveraineté du Québec. Et pourtant, y a-t-il question plus déterminante et structurante que celle-là? Dans le cadre de la mondialisation libérale, le Québec doit se lancer à l'assaut de sa propre transformation pour maintenir et agrandir ses capacités de produire de la richesse pour sa population. Sans une existence nationale, sans les leviers déterminants de son développement et en ne contrôlant que la moitié de son porte-feuille, le Québec n'y arrivera pas.
Et si, dans le cadre de la mondialisation alternative qui émerge, la société civile québécoise veut peser d'un véritable poids dans la construction de nouveaux équilibres planétaires, il lui faudra le relais d'un véritable État. En étant lucides sur l'avenir du Québec, je ne crois pas que nous puissions faire l'économie de cette question et reporter encore très loin la décision qui s'impose.
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