Luc Godbout
_ Professeur, Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques, faculté d'administration, Université de Sherbrooke*
Dans un contexte où le choc démographique est inévitable, aura des effets négatifs sur les revenus autonomes du Québec et générera des pressions à la hausse sur ses dépenses, il est facile d'anticiper une détérioration imminente des finances publiques québécoises. [...]
Revenus de retraite, revenus de travail
Comme on peut s'en douter, une population plus vieille implique que moins de gens travaillent. En conservant les revenus de travail actuellement gagnés par groupe d'âge et en appliquant la pyramide des âges de 2031, il y aurait eu 9,1 milliards de dollars de moins en revenu de travail à imposer au Québec. Avec la pyramide de 2051, la diminution des revenus de travail imposés au Québec aurait été de 17 milliards de dollars.
A contrario, une population plus vieille implique un plus grand nombre de retraités. Ainsi, en conservant les revenus des régimes privés de retraite nets des cotisations actuellement gagnés et en leur appliquant encore une fois la pyramide des âges de 2031, il y aurait eu, en 2004, 9,3 milliards de dollars de plus en revenus de retraite à imposer au Québec. Avec la pyramide de 2051, l'augmentation des revenus de retraite nets des cotisations aurait été de 11 milliards de dollars.
En appliquant la pyramide des âges future à la structure des revenus de travail et de retraite, l'augmentation des revenus de retraite semble compenser totalement la diminution des revenus de travail de 2011, de 2021 et de 2031. Pour 2041 et 2051, l'augmentation des revenus de retraite ne compense que partiellement la diminution des revenus de travail.
Ainsi, malgré le stock imposant amassé par les contribuables dans leurs régimes d'épargne retraite, qui constituera de toute évidence une source future de revenus pour les gouvernements, il ne compenserait pas complètement la diminution des revenus de travail.
De plus, il faut savoir que le rendement de l'impôt varie selon l'âge des contribuables. Selon les statistiques fiscales de 2003, le taux moyen d'imposition au Québec des contribuables âgés de 20 à 64 ans est significativement supérieur au taux d'imposition des contribuables de 65 ans et plus. Ainsi, non seulement l'augmentation des revenus de retraite ne compense pas complètement la diminution des revenus de travail selon les années choisies, mais les recettes fiscales qu'elles génèrent sont plus faibles.
Quoi qu'il en soit, en appliquant les taux d'imposition sur les revenus de travail et de retraite, on constate un léger manque à gagner de moins de 300 millions de dollars avec la pyramide des âges de 2031 et de moins d'un milliard de dollars avec la pyramide de 2051. Même si ces sommes sont certes élevées, ce manque à gagner demeure gérable. Ce n'est donc pas vraiment du côté de l'impôt sur le revenu que le problème du vieillissement de la population se pose.
De grosses dépenses
Du côté des dépenses, les résultats sont moins encourageants. [...] Pour les dépenses de santé, le ratio de dépendance plus élevé envers les personnes âgées implique que les dépenses en santé par habitant augmenteront. Pour cela, il faut savoir qu'en 2003, selon les données de l'Institut canadien d'information sur la santé, les dépenses moyennes en santé ont été près de trois fois plus élevées pour le groupe des 65-74 ans (5485 $) que pour le groupe des 45-64 ans (1888 $). Pour les personnes âgées de 85 ans et plus, elles ont été huit fois plus élevées (17 100 $).
Incontestablement, le vieillissement de la population a un lien direct avec les coûts de la santé. Évidemment, il y aura une demande accrue de services à domicile et de soins de longue durée.
On note aussi une croissance anticipée de la demande de certains services médicaux. À cet égard, le vieillissement de la population ferait par exemple augmenter de 161 % la demande de services pour la gériatrie si on compare 2051 à 2004. [...]
Avec la structure de dépenses de 2004 et la pyramide des âges de 2031, le budget de la santé se serait élevé à 31,9 milliards de dollars au lieu de 20,1 milliards. Les 11,8 milliards de plus en dépenses de santé représentent une hausse de 58,7 %, entièrement liée aux perspectives démographiques. En appliquant la pyramide des âges de 2051 à la structure de dépenses de 2004, la hausse serait encore plus marquée avec 16 milliards de plus.
[Toutefois,] la présente analyse n'applique que des changements d'ordre démographique. Ne sont nullement retenus l'ajout de nouvelles technologies, l'arrivée de nouveaux médicaments ou la meilleure rémunération attendue par le personnel de la santé.
Et peu d'économies en éducation
En contrepartie, une population plus vieille impliquerait, théoriquement, moins de dépenses en éducation. Toutefois, il faut mentionner qu'il est loin d'être évident que les économies potentielles en éducation liées à des effectifs scolaires plus faibles se matérialiseront. Deux éléments justifient cette remarque.
Premièrement, plusieurs disent que c'est dans l'économie du savoir que le Québec doit investir pour faire face à la mondialisation. Cela nécessite une main-d'oeuvre qualifiée. Deuxièmement, certains coûts fixes, comme l'entretien et le chauffage des immeubles scolaires, ne diminuent guère, même lorsqu'ils ne sont pas remplis à pleine capacité.
En conservant les dépenses en éducation actuelles par groupe d'âge et en appliquant la pyramide des âges de 2031, [...] le budget de l'éducation se serait élevé à 9,6 milliards au lieu de 11,1 milliards [en 2004]. Les 1,5 milliard de dollars en dépenses en éducation représenteraient une économie de 13,5 %, entièrement liée au vieillissement de la population. Avec la pyramide de 2051, la diminution serait encore plus marquée avec 2,6 milliards de plus.
La logique est la même pour les coûts des services de garde. L'évolution des coûts futurs est basée sur la somme de 1,4 milliard que le gouvernement du Québec a allouée en 2004 aux services de garde, elle-même divisée par la population du Québec âgée de zéro à quatre ans. En utilisant ce coût par enfant d'âge préscolaire en 2004 et en appliquant la pyramide des âges de 2031, l'économie se serait élevée à 100 millions en 2004. Avec la pyramide de 2051, l'économie se serait élevée à 174 millions.
Du côté des autres dépenses, même si leur coût n'est pas lié au vieillissement démographique, il fluctue néanmoins dans le temps. Bien sûr, certains de ces postes peuvent faire l'objet de compressions. Toutefois, d'autres sont appelés à prendre de l'importance au cours des années : pensons notamment à l'environnement et au développement durable. En conséquence, les autres dépenses demeurent inchangées par habitant. [...]
Ajustements possibles mais considérables
Globalement, on aurait observé un manque à gagner en 2004 de 11,6 milliards avec la pyramide des âges qu'on aura dans 25 ans et de 15,2 milliards avec la pyramide des âges de 2051. Mis en proportion du budget global de 2004, le manque à gagner équivaut à 21,5 % en appliquant la pyramide des âges de 2031 et grimpe jusqu'à 28,1 % avec celle de 2051.
Heureusement, cet exercice ne tient pas compte des adaptations possibles de l'économie québécoise. Dans ce contexte, il est permis d'espérer que les effets du choc démographique seront moins grands, notamment si la productivité des entreprises s'accroît et si le taux d'activité des travailleurs augmente pour tous les groupes d'âge, y compris les 55 ans et plus.
Quoi qu'il en soit, ces sommes sont considérables. Pour avoir un aperçu de leur ampleur, elles peuvent être illustrées de deux manières : d'abord, le manque à gagner est entièrement comblé par une diminution des autres dépenses; ensuite, le manque à gagner est entièrement comblé par une hausse des impôts.
Si, en 2004, les autres dépenses avaient été diminuées de 11,6 milliards pour équilibrer le budget lié à l'application de la pyramide des âges de 2031 aux structures de recettes et de dépenses de 2004, l'élimination de la totalité des autres dépenses gouvernementales (affaires municipales, agriculture, culture, développement économique, environnement, famille, immigration, justice, relations internationales, ressources naturelles, sécurité publique, tourisme, transport et travail) n'aurait pas suffi pour garder intacts les budgets de la santé, de l'éducation et de l'aide sociale.
Si, au lieu de couper dans les dépenses, on avait choisi d'absorber les 11,6 milliards liés à l'application de la pyramide des âges de 2031 aux structures de recettes et de dépenses de 2004 par une hausse de la fiscalité, doubler le taux de la TVQ de 7,5 % à 15 % n'aurait pas été suffisant. Pour parvenir à augmenter suffisamment les recettes fiscales, il aurait aussi fallu, en plus de doubler la TVQ, doubler les taxes sur l'essence, sur les boissons alcoolisées et sur le tabac.
Bien évidemment, ces deux illustrations ne sont guère plausibles, mais elles ont pour seul objectif de montrer toute l'ampleur du défi qui attend le Québec avec le vieillissement de la population projeté en conservant les structures de revenus et de dépenses actuelles.
* Extrait de l'ouvrage Agir maintenant pour le Québec de demain - Des réflexions pour passer des manifestes aux actes (PUL, 2006), paru cette semaine, auquel ont collaboré Mario Albert, Pierre Beaulne, Josée Boileau, Claude Castonguay, Bernard Élie, Joseph Facal, Pierre Fortin, Marcelin Joanis, Nicolas Marceau, Alain Noël et Pierre Paquette, sous la direction de Luc Godbout.
Finances publiques sous haute tension
« Notre avenir, un dialogue public »
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Luc Godbout est professeur à la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l'Université de Sherbrooke
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