Luc Godbout. Archives La Tribune
Au milieu de l'été, l'Institut de la statistique du Québec (ISQ) publiait de nouvelles projections démographiques, forçant à revoir notre vision de l'avenir du Québec.
En l'espace de dix ans, les changements sont pour le moins spectaculaire. Alors que dans son édition 1999, l'ISQ projetait une diminution de la population québécoise à partir de 2026, l'édition 2003 reportait la date du déclin à 2031 tandis que l'édition 2009 ne prévoit plus de déclin de la population dans le prochain demi-siècle. La population du Québec atteindrait maintenant, 8,8 millions d'habitants en 2031, soit 700 000 de plus qu'escomptés dans l'édition 2003.
Il faut évidemment se réjouir des nouvelles perspectives démographiques, sans pour autant se faire de fausses illusions, car un tel revirement de situation ne rend pas les cris d'alarme lancés ces dernières années désuets pour autant.
Défi démographique
Le Québec connaîtra une transition démographique marquée, à compter de 2012, dès que les premiers baby-boomers atteindront 65 ans.
Une façon de mesurer l'ampleur du vieillissement est le ratio de dépendance démographique. Il ne s'agit pas d'une dépendance au sens strict du terme, mais du rapport entre le nombre d'individus de moins de 20 ans et de plus de 65 ans et la population en âge de travailler (20 à 64 ans).
Ce ratio, actuellement légèrement supérieur à 59%, évoluera rapidement avec la retraite prochaine des baby-boomers. En l'espace de 12 ans, il augmentera de manière soutenue pour atteindre 71% en 2021. En 2031, jeunes et aînés seront alors 85 pour chaque 100 personnes en âge de travailler.
Rapidement, la notion d'équité intergénérationnelle, visant à assurer le bien-être des générations d'aujourd'hui sans compromettre celui des générations de demain, servira de trame de fonds aux principaux défis du Québec.
Défi de la Régie des rentes
Comme la RRQ a pour mission de verser des rentes de retraite visant à remplacer partiellement le revenu de travail, la transition démographique affectera directement son avoir. Nonobstant les pertes de la Caisse de dépôt et de placement de l'année dernière, des calculs actuariels périodiques doivent déterminer si elle a l'argent nécessaire pour acquitter ses obligations de long terme. Actuellement, ce n'est pas le cas.
L'historique de la RRQ révèle que dès la fin des années 1970, les actuaires disaient que pour assurer la pérennité du régime il fallait doubler le taux des cotisations. En attendant jusqu'en 1996 pour agir, il a fallu tripler le taux afin de rattraper le temps perdu.
La cagnotte de la RRQ doit donc se maintenir à flot en tenant compte adéquatement de la transition démographique. Sachant le départ prochain des baby-boomers à la retraite, repousser de nécessaires augmentations de cotisations à la RRQ, c'est choisir de maintenir plus faible que requis le taux de cotisation de la génération actuelle de travailleurs et d'en faire payer un taux plus élevé aux générations subséquentes.
Défi du marché du travail
Parallèlement à l'augmentation du nombre d'aînés, le bassin de la population en âge de travailler diminuera. Alors que depuis 1981, un million de personnes sont venues grossir les rangs des 20 à 64 ans, après 2016, ce groupe d'âge entrera dans une phase de contraction. Entre 2017 et 2031, la contraction de ce bassin dépassera 240 000 personnes.
Signe distinctif, ce déclin observé au Québec contraste avec nos principaux partenaires économiques. En effet, tant l'Ontario que les États-Unis verront leur population de 20 à 64 ans continuer de croître lors des deux prochaines décennies.
La contraction québécoise du bassin de travailleurs potentiels ne se fera pas sans heurts. Il n'est pas surprenant alors que certains réfléchissent aux manières d'inciter ceux à la veille de quitter le marché du travail à y demeurer volontairement.
Défi économique
Sachant que l'augmentation du nombre de travailleurs a été, par le passé, la source de pratiquement la moitié de la croissance économique québécoise, la contraction du bassin de travailleurs provoquera un repli significatif du rythme de croissance. De 1981 à 2008, le taux moyen de croissance économique réelle s'établissait à 2,1% annuellement. Or, sur la base d'observations récentes, avec des collègues, dont Pierre Fortin de l'UQAM, nous avons conçu un modèle de projections où la croissance économique réelle en 2021 s'établirait à 1,4%. Récemment, Desjardins confirmait cette observation en prévoyant une croissance potentielle de 1,3% en 2021. Dans les deux cas, le vieillissement atténue la croissance future.
Dans un proche avenir, le Québec devra miser davantage sur la productivité par heure travaillée pour faire croître son économie.
Défi budgétaire
Ce ralentissement de la croissance économique affectera la croissance des revenus de l'État au moment où les dépenses vont elles aussi réagir aux changements démographiques. Il faut en effet s'attendre à ce que, plus la population québécoise sera vieille, plus les dépenses publiques consacrées à la santé augmenteront.
L'adéquation de la croissance future des dépenses à celle de la croissance économique qui ultimement dicte la croissance des revenus deviendra le principal enjeu.
Défi du déficit
Dans l'immédiat, les finances publiques québécoises traversent la récession mondiale.
Qui plus est, les données financières québécoises indiquent la présence d'un déficit structurel. À elle seule, la reprise économique ne permettra pas le retour de l'équilibre budgétaire, sans une révision du côté des revenus ou des dépenses.
À cet égard, afin de rééquilibrer le budget, le gouvernement a déjà dû sortir l'artillerie lourde. En premier lieu, comparativement à la tendance moyenne des douze dernières années, la croissance annuelle des dépenses sera réduite de 4,7 % à 3,2 % dès 2010-2011. Il s'agit d'une réduction du rythme annuel de croissance de près du tiers. Aussi, le budget annonçait le passage du taux de la TVQ de 7,5 % à 8,5 % et l'indexation annuelle des tarifs des services publics. Malgré tout, l'ensemble des mesures identifiées au plan de relance ne suffiraient pas à rééquilibrer le solde budgétaire. En 2013-2014, il resterait encore près de 4 milliards $ de déficit budgétaire à combler. Où prendre l'argent? Hausser la TVQ de 2 points plutôt qu'un prévu, recourir de manière accrue à la tarification d'Hydro ou compresser encore plus la croissance future des dépenses.
La seule option : agir
Au moment même où le défi démographique et ses répercussions devraient être au centre de nos préoccupations, la récession occupe l'avant-scène. Une fois la récession derrière nous, le défi démographique s'imposera de lui-même.
Certains pourraient me reprocher de ne pas avoir abordé d'autres importants défis comme l'environnement ou encore le décrochage, comme quoi il faudra non seulement apprendre à marcher et à mâcher de la gomme en même temps, mais aussi à jongler tout en faisant un noeud de cravate!
Le temps est venu de lancer des chantiers (budgétaire, démographique et économique) afin de faire émerger un consensus québécois sur l'opportunité d'agir, car dire que les prochaines années s'annoncent malaisées pour les finances publiques du Québec s'avère malheureusement un euphémisme.
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Luc Godbout est professeur à la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l'Université de Sherbrooke
luc.godbout@usherbrooke.ca
Faire face aux multiples défis du Québec
Budget Québec 2010
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Luc Godbout est professeur à la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l'Université de Sherbrooke
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