Le 31 mars dernier, à la fin de l'exercice financier 2008-2009, la « dette brute » du gouvernement du Québec était de 151 milliards de dollars, soit 50 % du Produit intérieur brut (PIB). Une dette exorbitante, soutiennent les « experts indépendants » (Robert Gagné, Pierre Fortin, Luc Godbout et Claude Montmarquette) du Comité consultatif sur l'économie et les finances publiques mis sur pied en octobre par le ministre des Finances.
On connaît la ritournelle : la dette du Québec est excessive ; pour les deux tiers, elle serait constituée de « mauvaise dette » contractée pour financer les dépenses courantes, et pour le tiers seulement de « bonne dette » contractée pour financer l'acquisition d'immobilisations ; elle serait la conséquence d'un abus de services publics par les Québécois qui vivraient au-dessus de leurs moyens.
La « dette brute » de 151 milliards est la somme de la « dette directe », ou dette contractée sur les marchés (125 milliards), et des engagements nets du gouvernement (28 milliards) à payer plus tard les prestations de retraite et les avantages sociaux de ses employés, dont on soustrait les actifs accumulés dans le Fonds des générations (2 milliards). Seule la « dette directe » est une vraie dette, constituée de titres (obligations, bons du Trésor, etc.) qui devront être remboursés à l'échéance et sur lesquels des intérêts doivent être payés chaque année. La deuxième composante de la dette brute est la simple inscription comptable d'une reconnaissance de dette.
Quelques comparaisons
L'équivalent aux États-Unis de la dette directe du Québec est « la dette fédérale brute détenue par le public ». De 8 500 milliards en 2009, elle représente 60 % du PIB. Il est prévu qu'elle atteindra 70 % du PIB en 2011 et qu'au mieux elle demeurera à ce niveau jusqu'en 2019. Par comparaison, la dette directe du Québec, de 125 milliards en 2009, représente 41 % du PIB et il est prévu qu'elle atteindra 45 % du PIB en 2011. Il faut ajouter à cela que la dette détenue par le public aux États-Unis n'est qu'une des deux composantes de la dette, la deuxième étant détenue par les comptes gouvernementaux dont le plus important est celui de la sécurité sociale. La dette totale du gouvernement des États-Unis atteint ainsi 89 % du PIB en 2009. Elle augmentera à 96 % du PIB en 2010 et 108 % en 2014.
Ce lourd endettement, qui est sans proportion avec celui du Québec, est loin d'être spécifique aux États-Unis. Tous les pays industrialisés sont dans la même situation, certains dans une situation considérablement pire, et bon nombre d'entre eux font face à la faillite. Il suffit de mentionner ceux qui ont plus d'une fois fait la manchette comme l'Irlande, l'Islande, la Grèce, l'Espagne, les pays est-européens de l'ancien empire soviétique, et même le richissime émirat de Dubaï. Que motive donc cet épouvantail d'une catastrophe imminente à laquelle le Québec serait acculé, si ce n'est une volonté bien connue de viser les services publics et de demander aux moins nantis de contribuer davantage sans toucher aux privilèges existants ?
D'autant plus que la situation budgétaire du Québec est beaucoup plus favorable que celle de la plupart des pays. Alors que le Fonds monétaire international prévoyait en octobre dernier, pour les principaux pays industrialisés, un déficit budgétaire moyen de 10 % du PIB en 2009 et en 2010, et de 6 % en 2014, le déficit prévu au Québec n'est que de 1,6 % du PIB pour les années financières 2009-2010 et 2010-2011. Le gouvernement vise néanmoins coûte que coûte le recours à l'équilibre budgétaire en 2014. Il invoque à cette fin la nécessité de réduire les dépenses et de trouver de nouvelles sources de revenus qui feraient notamment appel à la tarification, mais il annonce néanmoins son intention de continuer à sacrifier des fonds à la réduction de la dette en alimentant le Fonds des générations de 5 milliards de dollars d'ici 2014.
Comment transformer la « bonne dette » en « mauvaise dette »
La dette du Québec, selon la prétention des « experts indépendants » du gouvernement, serait constituée pour les deux tiers d'une « mauvaise dette » n'ayant pas de contrepartie dans des actifs. Qu'en est-il ? Les statistiques révèlent d'abord que 42 % de l'augmentation de la dette de 1970 à 1998 découlent de la prise en compte des engagements du gouvernement à l'égard des régimes de retraite du secteur public. Par ailleurs, jusqu'à la réforme comptable de 1996, les dépenses d'immobilisation étaient entièrement comptabilisées comme des dépenses courantes, de sorte qu'une part majeure de la dette attribuée aux déficits cumulés de près de trois décennies devrait être comptabilisée, non pas comme une dette découlant des « dépenses d'épicerie », mais comme une dette découlant de l'acquisition d'immobilisations.
Si on soustrait de la dette brute le montant net (22 milliards) des actifs financiers détenus par le gouvernement (placements dans les sociétés d'État, comptes à recevoir, etc.), on obtient la « dette nette » (129 milliards), qui est en principe la somme de la dette découlant des immobilisations et de la dette découlant des déficits cumulés. Dans les faits toutefois, le gouvernement définit la « dette représentant les déficits cumulés » comme le montant obtenu en soustrayant de la dette nette le « solde non amorti des immobilisations » plutôt que le solde non remboursé de la dette contractée pour acquérir ces immobilisations.
Il se trouve ainsi à faire passer chaque année dans la « mauvaise dette », par le biais de l'amortissement des immobilisations, une partie de la « bonne dette », celle qui a été contractée pour acquérir des immobilisations, ce qui permet aux « lucides » d'aujourd'hui comme à ceux d'hier de prétendre que les deux tiers de la dette accumulée à ce jour sont de la « mauvaise dette ».
Si la dette attribuée aux déficits cumulés représentait réellement ces déficits, comment aurait-elle pu augmenter de 4,8 milliards de 1999 à 2006, alors que le déficit budgétaire réel cumulé n'a été que de 1,2 milliard au cours de la même période, selon les documents officiels ? Il est temps de mettre un terme à cette présentation tronquée de la réalité.
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