La FTQ et la CSN investissent dans un fonds spéculatif

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La contribution de la FTQ et de la CSN à un fonds spéculatif est difficile à justifier après l'effondrement magistral auquel les fonds spéculatifs ont largement contribué en 2007 et 2008.
PHOTO: ARCHIVES LA PRESSE


On apprenait au début de mai la décision de la FTQ et de la CSN, par l'intermédiaire du Fonds de solidarité, de Fondaction et du Régime de retraite des employés de la CSN, d'investir 115 millions de dollars dans la création d'un fonds spéculatif (hedge fund), le Fonds stratégique à rendement absolu géré par HR Stratégies, en collaboration avec la Caisse de dépôt et placement du Québec. Cet événement, a écrit le journal Les Affaires, «marque le retour des produits dérivés à Montréal»... après l'effondrement magistral auquel ils ont largement contribué en 2007 et 2008, faut-il préciser.
Même si le montant de cet investissement ne représente qu'une goutte d'eau dans les actifs cumulés des deux fonds, cette initiative n'est pas sans soulever des questions, la nature et la finalité des fonds spéculatifs étant totalement étrangères à la mission des fonds d'investissement de travailleurs que sont la création et la préservation d'emplois. On est d'autant plus en droit de s'interroger alors que le monde patauge toujours dans une crise financière dans le déclenchement et la propagation de laquelle les fonds spéculatifs ont joué un rôle majeur.
Rappelons que le quart des fonds spéculatifs ont fait faillite à l'occasion de cette crise, terrassés par leur stratégie de recours à un lourd endettement qui démultiplie les profits quand les marchés sont en hausse, mais qui démultiplie tout autant les pertes quand la cloche sonne la fin de la récréation. Il est pertinent de rappeler l'exemple de la faillite de la banque d'investissement Bear Stearns, en mars 2008, rachetée en vente de feu pour 2$ l'action par JPMorgan Chase, alors que cette action valait 150$ un an plus tôt. La principale cause de la déconfiture de Bear Stearns avait été la faillite, neuf mois plus tôt, de ses fonds spéculatifs.
Des «armes financières de destruction massive»
La contribution de la FTQ et de la CSN à ce type de placement financier est d'autant plus difficile à justifier lorsqu'on sait que Warren Buffet, cette figure légendaire du financement de l'investissement dans l'économie réelle, celle qui produit les biens et services et où s'investissent les capitaux créateurs d'emplois stables, avait caractérisé dès 2003 les dérivés de crédit comme des «armes financières de destruction massive» et avait déclaré n'en avoir jamais acheté ni jamais vouloir en acheter.
Plutôt que de s'engager dans cette voie de la promotion d'une industrie qui nous a plongés dans le marasme et qui est axée sur le placement volatil à court terme, le plus souvent contraire à l'objectif de la création et de la préservation d'emplois stables, ne serait-il pas mieux indiqué que la FTQ et la CSN unissent leurs efforts au sein de la Confédération syndicale internationale dont elles sont membres pour proposer l'organisation d'une campagne syndicale internationale dont l'objectif serait de faire échec à la multiplication des produits financiers exotiques créés par l'«innovation financière» délétère des 30 dernières années qui ont mené l'économie mondiale à la catastrophe, et la réinstitution d'un financement direct sans finance spéculative, du type de celui qui a assuré pendant les 30 années de l'après-guerre une croissance stable et vigoureuse et un faible taux de chômage?
On peut penser que la CSI serait au moins ouverte à considérer une telle proposition, sachant que son Conseil général avait, la veille du déclenchement de la crise en juin 2007, adopté une résolution mettant en garde contre «les effets négatifs d'investissements dans les fonds spéculatifs sur les travailleurs et les travailleuses et les risques pour la stabilité financière et la durabilité économique résultant des caractéristiques d'endettement et de la nature à court terme de leurs activités». La CSI s'inquiétait aussi des «investissements substantiels des fonds de pension dans des fonds spéculatifs et des fonds à capital-risque, et le risque potentiel qui y est lié pour les revenus de millions de personnes, réservés pour leur retraite».
Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'une réflexion sérieuse s'impose sur ces enjeux.
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Louis Gill
_ L'auteur est économiste et professeur retraité de l'UQAM.


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