L'État se désengage-t-il vraiment ?

Budget Québec 2010

Beaucoup de bruits ont été faits récemment autour d'une éventuelle hausse des tarifs d'hydroélectricité comme avenue à privilégier au Québec.
Même si cette approche a son lot de partisans, il faut aussi dire que certains opposants jugent cette hausse non souhaitable. Selon eux, il faudrait plutôt regarder vers l'impôt sur le revenu, car ce serait les récentes réductions fiscales qui causeraient la précarité des finances publiques du Québec.

Au-delà de la récession
Pourquoi le Québec se retrouve-t-il en situation déficitaire au-delà de la récession? Les données budgétaires et économiques québécoises indiquent la présence d'un déficit qui ne serait pas entièrement lié à la conjoncture économique. À elle seule, la reprise économique ne permettra pas le retour de l'équilibre budgétaire sans une révision de l'intervention gouvernementale.
Et ce, en dépit des mesures déjà annoncées dans le dernier budget, comme la réduction de la croissance annuelle des dépenses à 3,2 % dès 2010-2011, la hausse du taux de la TVQ à 8,5 % en janvier 2011 et l'indexation annuelle des tarifs des services publics. Rappelons qu'il resterait malgré tout près de 4 milliards $ de déficit budgétaire à combler en 2013-2014.
Évidemment, les baisses d'impôts passées contribuent au solde budgétaire déficitaire, mais elles ne peuvent tout expliquer. Pour déchiffrer la difficulté de retrouver l'équilibre budgétaire, quatre autres éléments doivent être pris en compte.
Premièrement, le niveau réalisé de l'activité économique en 2013-2014 n'aura pas fini de revenir à son plein potentiel historique.
Deuxièmement, la Santé, le principal poste de dépenses, risque de croître pendant ce temps, comme c'est déjà le cas depuis 12 ans, plus vite que notre enrichissement collectif.
Troisièmement, dans la foulée des déficits liés à la récession et des investissements en infrastructures, il est crucial de comprendre que le service de la dette va augmenter de 50 % d'ici 2013-2014, faisant passer le montant annuel consacré au paiement des intérêts de 6,1 à 9,4 milliards $.
Quatrièmement, il faut également tenir compte du fait que les transferts fédéraux stagneront pratiquement au cours de cette période, avec une croissance annuelle inférieure à 1 %.
Au cumul, malgré une réduction de la croissance des dépenses de programme, en tenant compte de la hausse du service de la dette, les dépenses budgétaires totales seront 11 milliards $ plus élevés en 2013-2014 pendant que les transferts fédéraux augmenteront, eux, de moins de 500 millions $.
Sachant le déficit latent prévu en 2013-2014, la question incontournable est: où prendre l'argent?
Évidemment, l'argent peut venir tant du côté des dépenses en réduisant davantage leur cible de croissance que du côté des revenus en réaugmentant l'impôt sur le revenu, en haussant la TVQ plus que prévu ou encore en majorant les tarifs d'hydroélectricité.
Les baisses d'impôt
Puisqu'elles font l'objet de critiques, notamment qu'elles ont eu pour effet de réduire le poids de la fiscalité des contribuables aisés alors que les éventuelles hausses de tarifs d'hydroélectricité seront dirigées vers la classe moyenne et les plus pauvres, il faut revenir sur les baisses d'impôt.
Il est vrai que l'impôt sur le revenu a significativement diminué depuis l'an 2000. Mais, avant de prétendre que les réductions n'ont profité qu'aux riches, il faut analyser la manière dont elles ont été octroyées. Or, entre 2000 et 2008, leurs modulations et les prestations fiscales versées ont permis d'accroître le revenu disponible d'une famille de deux enfants dont les deux conjoints travaillent et gagnaient l'équivalent de 25 000 $ en dollars de 2008 de 8400 $ comparativement à 7600 $ pour une famille dans la même situation, mais avec un revenu familial de 75 000 $. Cette situation s'explique notamment par la large place qu'occupent les mesures fiscales dans les réductions d'impôt.
Qui plus est, la pauvreté mesurée par le panier de consommation chutait significativement pour les familles économiques de deux personnes ou plus alors que la part des impôts sur le revenu qu'ont payés les 20 % les plus riches de ces familles n'a jamais été aussi élevée depuis 1976!
Pour clore ce point, gardons en tête que le Québec a toujours le poids des impôts sur le revenu mesuré en proportion du PIB le plus élevé des pays du G7.
La tarification s'insère dans le débat public
Il est vrai que la notion de la tarification déborde de la simple question du retour à l'équilibre budgétaire. C'est encore plus vrai lorsqu'il est question d'une hausse générale du tarif d'hydroélectricité.
Malgré tout, il faudra débattre sereinement des pistes contradictoires qui s'offrent à nous. Vaut-il mieux changer nos façons de faire en établissant une tarification reflétant un prix plus juste pour l'hydroélectricité ou encore est-il préférable de poursuivre la politique de bas tarifs qui, faut-il le rappeler, profite à l'ensemble des utilisateurs: au riche qui climatise sa grande maison et chauffe l'eau de sa piscine creusée comme au pauvre dont le logement est, trop souvent, mal isolé?
Comme les plus riches consomment davantage, il convient alors de souligner qu'ils bénéficient d'autant de la politique actuelle de bas tarifs. Sur cette base, une réelle promotion de la justice sociale serait donc conciliable avec une hausse des tarifs d'hydroélectricité. Pour protéger les moins fortunés, une piste serait d'opter pour une modulation de l'augmentation des tarifs selon la quantité consommée. Si l'augmentation de tarif devait être uniforme, il faudrait alors cibler une aide vers ceux qui en ont besoin.
Autre élément à considérer, les recettes additionnelles d'une hausse des tarifs d'hydroélectricité, contrairement à une hausse de l'impôt sur le revenu, ne proviendraient pas entièrement de la poche des Québécois, parce que le coût plus élevé les amènerait à faire des économies d'électricité, qui à leur tour seraient exportées. À court terme, les Québécois en assumeraient les trois quarts, le reste proviendrait des exportations. Comme les économies augmenteraient avec le temps, à plus long terme, le partage serait grosso modo égal.
En bout de piste, ces recettes additionnelles seront utiles, car ne l'oublions pas, elles contribuent au financement, et donc à la protection, des services publics. Comme la redistribution de la richesse ne se fait pas uniquement dans la manière de prélever les recettes publiques, mais qu'une grande part se concrétise également du côté de la dépense publique, conséquemment la hausse des tarifs d'hydroélectricité devient souhaitable!

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Luc Godbout est professeur à la Chaire en fiscalité et
en finances publiques de l'Université de Sherbrooke.
luc.godbout@usherbrooke.ca


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