Revue de presse

Mission ambiguë

Géopolitique — Afrique du Nord


Le Parlement a donné son appui quasi unanime à la prolongation de la participation canadienne à la mission de l'OTAN en Libye. Le débat précédant le vote a toutefois laissé beaucoup de gens sur leur faim.
Chroniqueur au Toronto Star, Tim Harper a apprécié le ton civilisé et l'esprit constructif. «Mais pour les Canadiens désireux de savoir comment cela devrait, selon nous, se terminer et combien de temps la mission pourrait durer, c'était raté.» Personne n'a osé évoquer l'évidence, à savoir que le changement de régime pouvait survenir rapidement, avec le tir d'une seule bombe, note Harper. Le gouvernement n'a pas vraiment justifié le prix de l'opération ni pourquoi rien n'était fait pour venir en aide aux civils syriens qui subissent eux aussi la répression de leur gouvernement. «Et on ne nous a pas davantage éclairés sur ce que sera le rôle du Canada après septembre si Kadhafi est toujours en place et que les alliés de l'OTAN sont lassés de cette mission, ce qu'on sent déjà.» La néodémocrate Libby Davies a bien tenté de savoir ce qu'était la stratégie de sortie, sans succès. Tout le monde parle d'efforts diplomatiques, d'aide humanitaire, mais personne n'évoque la reconstruction. «Parce que personne ne sait quand elle sera possible», conclut-il.
David Akin, de l'agence QMI, en avait surtout contre l'ambiguïté des néodémocrates. Comme les conservateurs, Akin estime que la présence même de Kadhafi met en péril la sécurité du peuple libyen et qu'il doit être délogé. «C'est la realpolitik en Libye en ce moment, mais les néodémocrates canadiens, lors de leur premier débat important sur la politique étrangère depuis qu'ils forment l'opposition officielle, se contorsionnaient pour présenter une façon différente d'aller de l'avant, sans explicitement appeler au départ de Kadhafi.» En même temps, ils ont appuyé la poursuite de la mission militaire et la décision du gouvernement de reconnaître le Conseil national de transition comme représentant légitime du peuple libyen. «Ça ressemble certainement à un appui du NPD à un changement de régime», remarque Akin.
Dilemme

John Ivison, du National Post, déchiffre les choses autrement. Selon lui, l'appui du NPD découle de la volonté ferme de Jack Layton de prouver qu'il peut être un gouvernement en attente et «non plus un mouvement de protestation de gauche farfelu». Après tout, il a insisté pour renforcer les volets humanitaire et diplomatique de l'effort canadien et a amendé la résolution pour que soit explicitement exclu l'envoi de troupes au sol, ce que le gouvernement a accepté. Ivison s'attend à ce que ces compromis provoquent quelques étincelles au congrès du parti qui se déroule en fin de semaine à Vancouver, mais le résultat des élections du 2 mai dernier donne à M. Layton une autorité qui aura raison de la minorité de mécontents, écrit Ivison.
Susan Riley, du Ottawa Citizen, pense au contraire que le NPD a abdiqué ses vieux principes. Elle a trouvé le débat «superficiel, répétitif» et sa conclusion «incohérente». «Un appui quasi unanime à trois mois de bombardements de plus pour forcer un changement de régime en Libye sous prétexte de protéger les civils contre les représailles meurtrières du colonel Mouammar Kadhafi», résume-t-elle. Malgré le peu de réflexions sur le dilemme posé par cette mission et ses suites, ce débat a toutefois mis en relief un mouvement sur le front de la politique intérieure canadienne, dit-elle. En étant la seule à s'opposer à cette prolongation, la chef du Parti vert, Elizabeth May, se trouve à empiéter sur un terrain autrefois occupé par le NPD, celui des antiguerres. Contrairement à leur «populaire opposition de principe à la mission afghane, les néodémocrates sonnaient comme des libéraux, insistant sur la nécessité des efforts diplomatiques et de l'aide humanitaire, mais ne rejetant pas l'action militaire».
Riley relève que les néodémocrates ne veulent pas que l'OTAN impose un changement de régime et choisisse un camp, mais approuvent des bombardements contre Kadhafi, ce qui équivaut à prendre parti. «Une danse à claquettes» identique à celle des libéraux, écrit-elle. Seule Elizabeth May a osé s'opposer à la poursuite des bombardements et suggérer, plutôt, un appui plus solide aux efforts de l'Union africaine en vue d'un cessez-le-feu et de la tenue d'élections. Accusée de faire preuve de naïveté et de chercher l'attention, elle pourrait tout de même marquer des points auprès de ces citoyens qui doutent du bien-fondé de cette mission, toutes allégeances politiques confondues.
Ignorance

Jeffrey Simpson, du Globe and Mail, est plus sévère. Comme c'est trop souvent le cas, une campagne militaire aux buts limités se transforme en quelque chose de plus grand, de plus long, de plus coûteux. La mission en Libye est de cette eau.
Défendre les civils ne suffit plus, on veut mettre fin au régime Kadhafi. Pour le remplacer par quoi? Personne ne le sait et Simpson prédit qu'il sera plus difficile de trouver une solution durable à cette équation que de déloger le dirigeant libyen. On semble ne pas l'avoir réalisé avant, dit-il. Et il n'en est pas surpris puisque le Canada ne savait à peu près rien de la politique intérieure libyenne avant de se lancer dans cette mission, et le débat a montré que cette compréhension n'a pas beaucoup progressé.


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