La fameuse commission Cliche dont on parle ces temps-ci n'avait rien à voir avec l'attribution de contrats municipaux à Montréal ou avec le blanchiment d'argent mafieux au Québec. Nommés par Robert Bourassa en 1974, le juge Robert Cliche, l'avocat Brian Mulroney et le syndicaliste Guy Chevrette devaient faire «une enquête sur l'exercice de la liberté syndicale sur les chantiers de construction et les comportements de certaines personnes sur ces chantiers».
À la suite du saccage d'un chantier d'Hydro à la Baie James, les commissaires avaient trouvé, diront-ils après un an d'enquête, «beaucoup d'honnêtes citoyens». «Mais au menu quotidien de nos audiences, nous avons trop souvent été placés en présence de fraudeurs, d'escrocs et de canailles.» Leur conclusion: «Cette industrie est malade et jusqu'à un certain point corrompue.» Or, tout autre est la corruption dont on parle aujourd'hui.
À l'époque, des fiers-à-bras de la FTQ-Construction chassaient des chantiers les ouvriers de la CSN. Or maintenant, prétend-on, ce sont des entreprises qui s'entendraient pour en écarter d'autres des travaux publics. La magouille discrète de professionnels aurait succédé à la violence ouverte des «délégués de chantier».
Dans les années 1970, il s'agissait aussi d'entreprises qui se faisaient extorquer des «amendes» par des syndicalistes véreux leur reprochant des infractions à la loi de «l'étiquette syndicale». De nos jours, il est plutôt question de contribuables qui se font subrepticement détrousser par des entreprises gonflant le coût des produits ou vendant des services douteux.
Certes, d'anciennes pratiques d'intimidation, de sabotage d'équipements, d'emplois fictifs n'ont pas tout à fait disparu. Et des séjours aux Antilles ont remplacé les voyages de pêche à La Tuque. Mais depuis la commission Cliche, d'autres pratiques auraient envahi la construction: argent mafieux, fabrication de faux, sociétés fictives, évasion fiscale...
Changement d'époque
De plus, le contexte a changé. La présence de fonds syndicaux de placement financier a créé un nouveau climat entre la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) ou la Confédération des syndicaux nationaux (CSN) et plusieurs entreprises. Les gouvernements qui y consentent des avantages fiscaux font aussi partie de ce partenariat implicite. Qu'un ancien dirigeant du Fonds de solidarité de la FTQ soit ministre des Finances de Jean Charest illustre, s'il en était besoin, le changement d'époque.
Lors du saccage de la Baie James, Le Devoir avait réclamé une enquête publique. Paradoxalement, la CSN n'y était guère favorable. Et la haute direction de la FTQ souhaitait que le journal fasse montre de plus de compréhension des conditions de vie sur les grands chantiers. L'enquête eut lieu néanmoins, et ses séances publiques furent percutantes.
Bien que les révélations puissent perturber le syndicalisme, leur étalement public, noteront les commissaires, «aidera à provoquer l'épuration qui s'impose». Le président de la FTQ, Louis Laberge, avait sollicité l'aide de la Commission, écrivent-ils, pour faire son «nettoyage». Si l'enquête a, incidemment, favorisé des carrières politiques, par contre le succès du nettoyage fut moins évident.
Cette fois, l'opposition parlementaire à Québec voudrait que le gouvernement institue une Commission d'enquête. Le ministre de la Sécurité publique, Jacques Dupuis, sans en écarter l'idée, estime que l'on doit s'en tenir pour le moment aux enquêtes policières en cours. N'est-ce pas confondre deux ordres de problèmes?
L'enquête Cliche n'avait pas empêché la tenue de procès, mais ses audiences avaient mis au jour des failles béantes qui, autrement, n'auraient pas été diagnostiquées. Les fraudeurs, en effet, ne sont pas tenus de répondre aux policiers, ni même aux procureurs lors de procès. Nombre de témoins, du reste, n'y sont jamais entendus.
On ne saurait donc y faire la lumière sur des pratiques ou des systèmes qui sont de nature à saper l'intégrité des institutions ou la sécurité des citoyens. Même les grandes fraudes fiscales, plus courantes qu'il n'y paraît dans les affaires, peuvent échapper au regard public, comme c'est le cas des présentes «divulgations volontaires» faites à l'abri du secret fiscal.
Commissions d'enquête
Les commissions d'enquête, il est vrai, n'ont pas bonne réputation. Leurs chocs sont éphémères, dit-on, elles coûtent cher, et souvent leurs rapports sont mis sur la tablette. Elles discréditent ou avantagent certaines personnes qui ne le méritent pas, mais réforment rarement les institutions, encore moins les moeurs. Pourtant, n'y a-t-il pas de vrais problèmes dans le bâtiment?
La FTQ rejette les «insinuations» des médias et le recours à des dénonciateurs «anonymes». Mais déjà, en avril dernier, le président de l'Association de la construction du Québec, Gilbert Grimard, faisait état dans La Presse d'un malaise qu'il était heureux de voir étalé dans les médias. Même au ministère des Transports, un sous-ministre, Jacques Gagnon, s'étonne des coûts élevés des contrats qui passent par les appels d'offres.
Des enquêtes ont permis de crever des abcès. Dans le cas de la crise qui sévit à l'Hôtel de Ville de Montréal, les élections du 1er novembre n'offrent guère aux citoyens le choix d'un vrai changement, du moins à en juger par le pessimisme ambiant. En cas d'impasse, toutefois, une tutelle serait plus indiquée qu'une commission d'enquête. Une telle Commission, en effet, n'administre pas une ville.
Mais il en va autrement des cartels et des connivences que l'on appréhende dans l'ensemble du monde municipal, voire au niveau provincial. Tôt ou tard, une intervention plus radicale s'imposera.
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Jean-Claude Leclerc enseigne le journalisme à l'Université de Montréal.
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