Avant, quand les commandes tardaient, le patron prévenait les syndicats. Modérez vos demandes, leur disait-il, autrement ce sera la fermeture, pour vous comme pour moi. Peut-être cette règle de calcul vaut-elle encore pour General Motors. Mais le syndicalisme n'est pour rien dans la banqueroute immobilière qui a frappé les États-Unis. Ni, ailleurs, la déconfiture qui a touché le système financier. D'autres facteurs ont donc entraîné la présente crise, mais lesquels?
Maints suspects ont été montrés du doigt. Mais, cette fois, nul ne peut blâmer le Vatican. Ce n'est pas Benoît XVI qui bénissait les pratiques de Wall Street. Ni non plus le cardinal Jean-Claude Turcotte qui présidait la Caisse de dépôt et placement. Les Sulpiciens de Montréal sont peut-être tentés par l'argent, dira-t-on, mais on ne leur doit pas le carrousel des contrats qui tourne autour de l'Hôtel de Ville.
C'est la cupidité des chefs d'entreprise, disent certains. Ils s'en sont mis plein les poches, même quand les profits chutaient. C'est l'avidité des investisseurs, affirment d'autres. Ils pompaient les dividendes aux dépens des employés, souvent mis à pied, ou des clients, siphonnés par les prix et les cartes de crédit.
Pour d'autres, il s'agit des gouvernements. Ils ont confié la surveillance du marché à des fonctionnaires laxistes ou incompétents. Pire, dira-t-on à gauche, ils ont cédé aux lobbyistes et ouvert la porte aux prédateurs. Ce n'est pas nous, réplique-t-on à droite, mais les politiciens. Ils se sont mêlés de régenter l'économie, subventionnant les uns et surtaxant les autres, pour payer leur favoritisme et leur réélection.
Responsabilité des écoles de management
Or, de nouveaux suspects, et non des moindres, sont mis ces temps-ci sur la sellette, dont la Business School de Harvard et d'autres prestigieuses écoles de management. Plusieurs d'entre elles sont en train de réviser d'urgence leur programme. Certaines cherchent des méthodes de «sortie de crise» sans toujours examiner quel rôle elles ont joué dans la débandade. D'autres, plus critiques, passent de l'économétrie à l'éthique, ou même des «indices de risque» à la philosophie sociale.
Après le scandale d'Enron en 2001 aux États-Unis, note Bloomberg News, de grandes écoles ont modifié leur programme. Harvard a introduit un cours d'éthique. Stanford a voulu développer l'esprit critique. À Cambridge, le cours de management enseigne aux étudiants à peser les conséquences de leurs actions, non plus sur les seuls investisseurs, mais aussi sur la société.
Toutefois, les chefs d'entreprise sortis de ces institutions réputées n'ont pas eu cette même formation lors de leurs études en management. Parmi les diplômés d'il y a vingt ou trente ans, on retrouve des dirigeants mêlés aux spectaculaires faillites des récentes années. Les étudiants d'aujourd'hui auront davantage de cours sur le management, l'économie et le risque que sur des fonctions spécifiques comme le marketing. Mais est-ce que ce sera suffisant pour prévenir d'autres crises?
Pour Henry Mintzberg, professeur de management à McGill, ce que nous appelons une crise financière ou une crise économique est, pour l'essentiel, une crise de management. Ainsi, la cupidité animait peut-être les promoteurs des hypothèques qui ont causé le désastre. Mais qu'est-ce qui a pu mener des institutions sérieuses à accepter ces produits délirants et surtout à tolérer la mentalité de laxisme ou de négligence à leur endroit?
La réponse de Mintzberg est aussi simple que directe: «Ces compagnies n'étaient pas gérées. Elles étaient "dirigées" -- héroïquement, bien sûr -- en vue d'une performance spectaculaire à court terme. Les dirigeants ne savaient rien, et les employés n'en avaient cure.» Ce management admiré dans le monde est maintenant vu, croit-il, comme largement pourri, déconnecté et insolent.
Mintzberg en donne comme preuve la rémunération des chefs d'entreprise, une «manifestation patente de cette corruption légale du management» et que le magazine Fortune avait, il y a déjà vingt ans, qualifiée de scandaleuse. Le Canada, peut-on ajouter, n'y a pas échappé. Combien de chefs d'entreprise sont partis avec des millions en poche après avoir licencié des milliers d'employés, simples «ressources humaines» jetables après usage.
Le professeur de McGill n'est pas tendre pour ces écoles américaines. Elles ont diplômé plus d'un million de MBA, qui se croient prêts pour gérer n'importe quoi, mais qui, dit-il, ont en réalité été «préparés pour ne rien gérer du tout». Aussi n'est-il guère optimiste quand il voit le président Obama verser des milliards à ces gens devenus dirigeants de la finance et de l'économie. «Ils nous ont plongés dans le marasme, écrit-il dans le Globe and Mail, comment sont-ils supposés nous en sortir?»
Or, le Québec est-il immunisé contre cette mentalité? D'aucuns s'insurgent en voyant arriver à la Caisse de dépôt un ancien mandarin d'Ottawa devenu maître sauveur de Bell. Ayant quitté cette dernière entreprise avec une sacoche de 20 millions, Michael Sabia a du mal à faire passer son nouveau défi pour du bénévolat. Mais la culture québécoise est-elle plus détachée des biens de ce monde?
Les simples gens du pays n'en sont guère convaincus, surtout quand ils lisent un peu partout -- des pages de journaux aux wagons du métro -- la publicité de certains groupes professionnels en quête d'étudiants prometteurs. On y fait appel, non pas au service de la communauté, mais à la mégalomanie sinon à la cupidité.
Ces «leaders» que l'on recrute ainsi seront-ils mieux préparés que ceux d'aujourd'hui pour bâtir un hôpital, réparer un viaduc ou gérer un portefeuille d'université? Il est permis d'en douter.
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redaction@ledevoir.com
Jean-Claude Leclerc enseigne
le journalisme à l'Université de Montréal.
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