Beaucoup d'encre a coulé et continuera de le faire sur les scandales de collusion entre gouvernements élus et crime organisé. Pourtant, on ne peut pas dire que personne ne s'en doutait. Nul besoin de chercher bien loin pour expliquer le perpétuel cynisme de la population devant ses dirigeants: ce cynisme prend racine depuis longtemps dans la façon dont les partis politiques manipulent la population pour servir les intérêts de groupes privés. D'où l'absence des fameux «projets politiques» dans la société québécoise. Comment élaborer un projet politique quand ce sont les «intérêts économiques» et le «marché libre» qui dictent les objectifs politiques?
Or, c'est là qu'il se trouve, justement, ce scandale.
Le scandale, c'est que tout le monde sait depuis longtemps qu'il se trame quelque chose de louche dans les municipalités (secteur de la construction et des soumissions dites «publiques») comme au niveau provincial (les règles d'éthique élastiques du gouvernement) et manifestement au niveau fédéral (n'a-t-on pas assez répété que le scandale des commandites n'était que la pointe de l'iceberg?) Mais il a fallu attendre des décennies avant qu'on en entende publiquement parler. Maintenant que le contexte commande une réaction des politiciens -- malgré tout censés représenter les électeurs --, les trois ordres de gouvernement (fédéral, provincial et municipal) s'opposent à la tenue d'une enquête publique. Quel hasard!
La question en suspens: pourquoi ce silence?
Je m'avance: parce que la démocratie n'est pas démocratique. Parce que les gouvernements peuvent décider de modifier des règles élémentaires d'éthique sans la moindre embûche si ce n'est que de la fausse indignation de l'opposition qui, une fois le pouvoir dans ses mains, reproduira les mêmes fautes. Parce qu'aucun pouvoir d'initiative n'est accordé à la population (par exemple, les référendums d'initiative populaire). Parce que les gouvernements réussissent si bien à jouer le jeu de la politique qu'ils en viennent à considérer les électeurs comme étant des «clients» et les programmes politiques comme des «stratégies de mise en marché».
Il n'y a qu'à regarder les chiffres disponibles sur le site du Directeur général des élections du Québec (DGEQ) pour se rendre compte de la désaffection provoquée par le contexte: de 1985 à 2008, on est passé d'un taux de participation de 75,64 % à un taux de participation de 57,43 %, en passant par un taux de 81,58 % en 1994 (sursaut auquel on peut sûrement attribuer l'éventualité d'un référendum sur la souveraineté du Québec). S'il arrive souvent que le lien de corrélation soit inversé par les analystes (la désaffection provoquerait le relâchement des pratiques politiques), on ne peut pas négliger le fait qu'il est impossible, par voie légale, de changer les choses en politique en dehors du vote périodique aux quatre ans. Cet espace laissé vacant, il ne revient qu'aux politiciens professionnels, devenus experts en stratégie (mais pas en analyse), de décider du sort de la collectivité. Il y a là matière à réflexion.
Constat accablant
La seule voie pour tenter de faire fléchir le gouvernement est de descendre dans la rue. Alors là, il n'y a de place que pour les courageux: les «agents de l'ordre», qui portent si bien leur nom (mais de quel ordre s'agit-il?), ne manquerons pas de vous faire réaliser à quel point toute l'énergie que vous dépenserez à marcher, crier et vous faire taper dessus n'aura probablement pas de répercussion, à moins que l'exercice se répète à plusieurs reprises et que vous réussissiez à mobiliser assez de masochistes.
Il ne vous restera qu'à attendre les prochaines élections. C'est là que vous ferez le constat le plus accablant: vous ne faites pas plus confiance aux partis de l'opposition. Rien ne sert donc d'aller voter puisque c'est bonnet blanc et blanc bonnet. Vous vous dites qu'en guise de protestation passive, il ne vous reste plus qu'à rester chez vous le jour de l'élection. Vous vous trompez, car médias, politiciens et compagnie vous rappelleront le lendemain que tous ceux qui n'ont pas exercé leur droit de vote donnent de facto carte blanche au gouvernement élu. Il ne vous reste plus rien, puisqu'à partir de ce moment, on vous reprochera même de descendre dans la rue alors que vous n'avez pas voté.
Mais la rue est pourtant la dernière solution qui vous reste pour vous faire entendre. Elle pourrait être aussi la seule façon de forcer une enquête publique...
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Xavier Dionne, Étudiant à la maîtrise en science politique à l'Université du Québec à Montréal
Lorsque la démocratie est confisquée
Mais la rue est pourtant la dernière solution qui vous reste pour vous faire entendre. Elle pourrait être aussi la seule façon de forcer une enquête publique...
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