Réflexions sur le G20

G-8, G-20 - juin 2010 - manifestations et dérives policières


Les commentaires sur le G20 n’ont pas fini d’abonder, et loin de moi l’idée de vouloir ajouter ma pierre à l’édifice de la redondance. Pourtant, certaines choses qui dépassent l’événement en soi méritent d’être dites, faute de quoi les raisons profondes de l’affrontement resteront dissimulées par le débat stérile opposant les «anti-casseurs» et les «anti-répression». Ce n’est pas que ce débat ne soit pas légitime, seulement, il risque fort peu d’amener certains orthodoxes, des deux côtés, à changer leur fusil d’épaule.
Ce qu’il y a de plus profondément inquiétant, dans ce qui s’est passé lors du G20, c’est que, dans l’indifférence presque généralisée, on a assisté au recul sans précédent de la démocratie dans toutes ses acceptations.
Suspension des libertés civiles
Les libertés civiles représentent l’un des fondements de la démocratie libérale telle qu’on la connaît. Elles représentent, en somme, l’ensemble des espaces où le citoyen peut s’exprimer librement (liberté religieuse, liberté d’expression, liberté de conscience, etc.) On la conçoit généralement à la lumière de la maxime «La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres». Dans le cas qui nous concerne, la liberté civile représente la possibilité d’exprimer une opinion politique (que ce soit dans un journal ou dans une manifestation) sans craindre d’être l’objet d’une répression arbitraire.
Or, ce que les événements du G20 nous révèlent, c’est que ces libertés ne sont assurées que si elles ne sont pas déployées à travers un enjeu crucial aux yeux du pouvoir politique — lorsqu’elles ne posent pas la question de la dissidence. Autrement dit, les libertés civiles sont assurées la majorité du temps. Mais c’est justement lorsqu’elles deviennent importantes (ceux qui ont assisté à l’épisode d’octobre 1970 acquiesceront probablement) qu’elles sont suspendues. Les libertés civiles devraient en principe permettre l’expression sans violence de la dissidence. En les suspendant justement lorsque la dissidence s’exprime, on leur enlève toute portée et, conséquemment, toute substance.
Ainsi, le pouvoir minimal de contestation populaire qui demeurait jusqu’à maintenant dans les mains du peuple est désormais amputé de toute portée. La seule liberté politique périodiquement concédée au peuple reste le vote. Mais qui nous dit que dans le cas où le vote démocratique serait utilisé à des fins de transformation sociale la suppression des libertés civiles ne serait pas qu’une simple formalité?
Catégorisation et mobilisation
Les libertés civiles assurent, comme nous venons de l’affirmer, le respect de la liberté de conviction et des préférences sexuelle, religieuse et politique. Or, on aura aussi perçu de la répression des manifestations du G20 une mobilisation excessive des catégories suivantes: nationalité québécoise (francophones), identité sexuelle, style vestimentaire marginal et opinion politique divergente.
Il ressort effectivement de plusieurs témoignages de militants ayant participé aux manifestations que les Québécois (du moins, les francophones) ont été systématiquement ciblés et arrêtés en raison de leur radicalisme. Pourtant, cette classification est effectuée a priori, c’est-à-dire que ce n’est pas en raison du radicalisme des manifestants québécois que la répression a été plus dure à leur endroit, mais bien parce qu’on a présumé leur radicalisme. Par ailleurs, le supposé «radicalisme» des Québécois s’exprime-t-il nécessairement par une violence proportionnellement radicale, ou s’agissait-il tout simplement de réprimer une opinion radicale?
Il ressort aussi que les participants et participantes queer (qui contestent les normes genrées), homosexuels ou lesbiennes ont été, lorsqu’ils (elles) ont été arrêté(e)s, systématiquement isolé(e)s des autres personnes arrêté(e)s, alors qu’ils et elles demandaient explicitement à être placé(e)s avec leurs camarades.
Pour ce qui est des styles vestimentaires marginaux et des opinions politiques divergentes, on peut manifestement accorder la mobilisation de ces catégories avec celle des deux précédentes. On pourrait aussi retracer une trop longue histoire de l’arbitraire constamment éprouvé par tout ce qui se distingue d’une norme plus ou moins floue. Cela dit, cette dynamique s’est accentuée lors des manifestations du G20.
Quelle démocratie?
Sur une autre définition de la démocratie, celle qui s’accorde avec l’expression décisionnelle du pouvoir politique (ce que d’autres ont appelé la liberté positive), la formule du G20 a une fois de plus confirmé qu’elle continuait de s’étioler. Pour le commun des mortels, cet aspect de la démocratie représente la possibilité pour le citoyen d’un ensemble politique de participer au processus qui mène à la prise de décision. Or, sur ce point, le schisme qui se creuse depuis déjà plusieurs décennies, face à la dépolitisation des décisions économiques, continue irrémédiablement de s’approfondir.
À l’intérieur des clôtures, donc, il y avait un aménagement sans précédent du luxe dévergondé, ce qui a coûté à la population (qui n’y a pas consenti), des sommes faramineuses en plus d’être inutiles. Exacerbant la frustration populaire, cet étalage de la richesse était conjugué aux discussions discrétionnaires et fermées entre les «dirigeants» des vingt États conviés à régler le sort de la planète, ce qui s’est soldé, au demeurant, par un dénouement minimal, principalement centré sur la nécessité de précariser les conditions de vie des populations de la planète afin de la rendre disponible à l’investissement privé, qui n’aura en retour qu’à promettre quelques emplois flexibles pour légitimer l’absence de préoccupation sociale. Notons que ce «consensus» minimal, par ailleurs, contraste vigoureusement avec les sommes dépensées en sécurité et en infrastructures clinquantes.
De l’autre côté de la clôture se trouvait une grogne légitime qui hésite toujours, malgré l’image qui a été retenue, à se défendre contre une force policière explicitement mandatée pour décourager toute riposte future par l’intimidation physique, morale et surtout, d’une violence extrême comparée à celle admissible en démocratie. De ce côté de la clôture, il y avait pluralité des visions politiques, pourtant unie dans l’opposition à l’injustice imposée par décret, sous bâillon, en secret, annoncée dans le mensonge.
Entre les deux côtés se trouvait la clôture de fer, mais aussi la clôture mobile, incarnée par une force policière composée d’un effectif de 20 000 «soldats» (sans compter l’effectif en civil, provocateurs et observateurs compris). Cette clôture mouvante, représentant le bras exécutif de l’injustice et de plus en plus en proie aux excès depuis un certain nombre d’années, n’a pas hésité à procéder à des arrestations massives, excessives et arbitraires; et ce, sous les ordres d’un pouvoir de moins en moins démocratique. Si les policiers déclarent à qui veut les entendre, avant les manifestations, que les «casseurs» sont là pour «faire des crimes», les policiers semblent tout autant pressés d’en commettre.
Pourtant, tout le monde le sait, cette logique et le rapport de force qu’elle développe constamment ne peuvent conduire qu’à l’affrontement, affrontement qui ne fait que commencer et qui finira inévitablement, à moins d’un changement profond et radical de la «démocratie», par sombrer dans la violence.
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Xavier Dionne - Étudiant de deuxième cycle en science politique à l’UQAM


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