La nouvelle loi sur la laïcité du gouvernement Legault est très critiquée au Canada. Des observateurs affirment que la loi québécoise est discriminatoire et que les tribunaux la rendront inopérante. François Côté, avocat spécialisé en droits fondamentaux, estime au contraire que la loi est nécessaire et passera le test des tribunaux. Entrevue.
Une nouvelle crise politique pourrait-elle frapper de plein fouet le Canada, réputé si paisible? C'est loin d'être impossible. Depuis que le gouvernement Legault a déposé sa nouvelle loi sur la laïcité, le 28 mars dernier, le nationalisme québécois a repris des forces. La fracture est visible entre Québécois et Canadiens anglais, plutôt hostiles à la laïcité. Le gouvernement fédéral et plusieurs organismes s'opposent au projet de la Coalition Avenir Québec (CAQ).
La loi empêchera les personnes en position d'autorité de porter des signes religieux au travail, c'est-à-dire les policiers, gardiens de prison, juges et enseignants. Plus de 70% des Québécois sont favorables au projet et 89% souhaitent mettre un terme à ce débat, qui dure depuis dix ans. L'avocat François Côté explique à Sputnik la démarche du gouvernement. Maître Côté est chargé de cours à l'université de Sherbrooke et spécialiste en droit civil et libertés fondamentales.
«Nous sommes ici face à un grand moment du droit, au travers duquel la société québécoise cherche à s'exprimer. Dans les quinze dernières années, le gouvernement provincial libéral a ignoré les revendications du peuple québécois concernant la chose religieuse […] Enfin, nous sommes face à un gouvernement qui décide d'être le porte-voix de la nation et qui dit qu'au Québec, nous avons une manière bien à nous de vivre notre rapport à la religion. Le projet vise à défendre et protéger la spécificité culturelle du Québec», a souligné maître Côté en entrevue avec Sputnik France.
La loi sur la laïcité vise à encadrer la liberté de religion et affirmer davantage l'identité québécoise. Le gouvernement fédéral a donc deux raisons de se méfier du projet. D'abord, la loi est considérée par Ottawa comme discriminatoire envers les minorités culturelles. Le Premier ministre Justin Trudeau s'est empressé de déclarer qu'il s'agissait d'un grave recul pour les droits individuels. Ensuite, la loi renforce le nationalisme québécois, vu comme une menace pour l'unité canadienne.
Une loi qui protège l'identité québécoise
L'avocat François Côté assure toutefois que le projet n'a absolument rien de «raciste». Il souligne que la loi distingue clairement la religion et l'origine ethnique des individus.
«Le projet de loi n'est absolument pas raciste. Il faut presque faire preuve de mauvaise foi pour utiliser cette qualification. En quoi est-ce que la religion est une race? C'est une première question qu'on peut se poser. Ensuite, la loi s'appliquera de manière objective à absolument tout le monde […] La religion est une affaire de choix, et son expression est aussi une affaire de choix», a ajouté François Côté.
Plusieurs organismes ont annoncé qu'ils feront appel aux tribunaux pour tenter d'invalider la loi après son entrée en vigueur. Des commissions scolaires (regroupements d'écoles) ont même annoncé qu'elles n'entendaient tout simplement pas respecter la loi. C'est le cas d'une commission anglophone de Montréal, la English Montreal School Board, qui refuse que ses enseignants se soumettent à ces nouvelles règles.
Un célèbre avocat montréalais, Julius Grey, en a même appelé à la «désobéissance civile». La ministre de la Sécurité publique et vice-Premier ministre, Geneviève Guilbault, a toutefois lancé un avertissement aux mécontents. Elle a affirmé que les policiers seraient avisés si des institutions refusaient d'appliquer la loi. L'atmosphère est tendue dans la Belle Province.
«La loi, c'est la loi. Les gens vont aviser les services policiers, c'est comme l'application de n'importe quelle loi. […] Si quelqu'un déroge à une loi, oui, effectivement, il est en contravention de la loi et donc devra s'y conformer», a déclaré la ministre le 2 avril dernier en conférence de presse.
Malgré la contestation, Me Côté est confiant dans le fait que le projet de loi restera en vigueur. Selon lui, invalider la loi reviendrait à nier le choix démocratique du peuple québécois. Le rejet de la loi sur la laïcité pourrait ainsi mettre en péril l'unité canadienne, déjà fragilisée par les deux référendums sur la souveraineté du Québec de 1980 et 1995. Cette nouvelle crise politique prendrait rapidement une tournure constitutionnelle:
«Cette loi a été adoptée démocratiquement par un gouvernement démocratiquement élu qui joue les règles du jeu constitutionnel. Ignorer ce fait précipiterait —j'en suis convaincu- le Québec et le Canada tout entier dans une nouvelle crise constitutionnelle sans précédent», s'est insurgé l'avocat.
La nouvelle loi va effectivement à l'encontre de certaines dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés protégeant la liberté de religion. Une réalité que font valoir les détracteurs du projet. En revanche, la Constitution permet aussi aux provinces de faire fi de cette Charte en utilisant la clause dite dérogatoire. Les tribunaux ne peuvent pas complètement remplacer les gouvernements élus.
«Nous nous retrouverions dans la situation incongrue [en cas d'invalidation, ndlr] où le tribunal tenterait d'ignorer une partie de la Constitution pour en appliquer une autre. […] Les tribunaux n'auront pas le choix de constater le recours aux dispositions dérogatoires. Ils n'auront pas le choix de constater qu'ils n'ont pas la juridiction pour invalider cette loi en fonction même de cette Constitution qui nous en donne le pouvoir», a expliqué François Côté.
Il était prévisible que cette loi sur la laïcité susciterait des réactions passionnées partout au Canada. Dans ce pays, chaque geste d'affirmation du Québec est scruté à la loupe. Il reste maintenant à savoir si le Premier ministre Legault parviendra à maintenir cette loi souvent perçue comme emblématique de l'identité québécoise.
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