La demande d’excuses pour les « abus » commis par l’Espagne lors de la conquête du Mexique faite par le président mexicain à l’Espagne a fait des petits. Des députés veulent désormais supprimer toute trace de Christophe Colomb ou Hernan Cortes dans l’espace public. La gauche repentante n’a ni frontières ni limites.
Le nouveau président du Mexique s’inspire-t-il de Justin Trudeau ? On pourrait presque le croire. Andrés Manuel López Obrador est loin d’être aussi fleur bleue que le petit prince boréal, mais certaines de ses actions font penser aux siennes. Le 26 mars dernier, López Obrador a demandé à l’Espagne de s’excuser pour les « abus » qu’elle a commis lors de la conquête du Mexique. Il faudrait juger les conquistadors cinq siècles après la chute de Mexico-Tenochtitlan. Il faudrait juger leur entreprise à l’aune de critères moraux actuels. Encore une fois, il faudrait faire le procès de l’Occident diabolique.
La gauche mexicaine dans le confessionnal de l’histoire
« J’ai envoyé une lettre au roi d’Espagne et une autre au pape François pour que le récit des abus soit fait et que des excuses soit présentées aux peuples indigènes pour les violations de ce qu’on nomme aujourd’hui leurs droits humains », a déclaré le président de gauche dans un communiqué. En quelques minutes, cette déclaration a enflammé la toile latino-américaine. Le gouvernement espagnol n’a pas tardé à répondre que cela n’arriverait pas. Hors de question pour Madrid de s’excuser pour une histoire dont elle n’est plus maîtresse. Dans une vidéo filmée sur le site archéologique maya de Comalcalco, le président mexicain s’adresse aussi à l’ancienne métropole. De pure descendance espagnole, ou presque, le président se retourne contre ses propres ancêtres.
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Malgré l’importance de son combat contre la violence et le crime, López Obrador a décidé de jouer la carte de la repentance. Lui aussi semble avoir envie de surfer sur la vague de l’autoflagellation. Lui aussi semble avoir le goût de faire dans le néo-révisionnisme historique. Comme le maire démocrate de New-York, Bill de Blasio, qui s’en est déjà pris à une célèbre statue de Christophe Colomb, le président mexicain veut déboulonner la conquête. Deux députés écologistes ont d’ailleurs proposé, le 2 avril, de supprimer « tous les monuments faisant référence à Christophe Colomb ou Hernán Cortés » : rues, avenues, statues. En cause : leur participation à une entreprise « cruelle et destructrice ». Encore peu habituée à ce genre d’exercice, la gauche mexicaine est entrée dans le confessionnal de l’histoire. López Obrador et ses suiveurs flattent l’ego des gauches morales occidentales, qui ont troqué l’égalité pour la culpabilité.
La cause amérindienne mérite mieux
Ceci ne veut toutefois pas dire que la cause amérindienne soit illégitime dans ce pays. Contrairement au Canada et aux États-Unis où il ne reste presque rien de la culture autochtone, le Mexique demeure un pays au double héritage, dont la part amérindienne est bien visible. Quand les Espagnols ont mis le pied à Mexico en 1519, cette ville était déjà aussi peuplée que Paris. Le Mexique est une nation bicéphale, qui est née du mélange de deux anciens peuples ennemis. La question autochtone se vit au jour le jour : elle n’est pas seulement le fruit d’élucubrations universitaires. Pour comprendre le Mexique, il faut remonter à sa dualité fondatrice, à son drame initial. La conquête a laissé des traces profondes dans l’imaginaire mexicain, ce que saisit très bien López Obrador.
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Le Mexique est encore densément peuplé d’Autochtones, dont les conditions de vie restent moins bonnes que celles des citoyens d’origine espagnole. On comprend mieux pourquoi la demande a été décrite comme populiste dans la presse mexicaine : demander des excuses au nom des peuples autochtones, c’est défendre une grande partie de la population défavorisée. Rares sont les Mexicains qui ne sont pas au moins le fruit de mélanges, et ceux qui ne le sont pas se trouvent souvent aux deux extrémités de l’échelle. Les Autochtones du Mexique méritent une meilleure vie, mais à quoi bon réécrire l’histoire quand on peut les y insérer à nouveau ? L’avenir ne s’écrit pas au passé. Dans l’univers de l’émancipation, les cérémonies pénitentielles ne font pas le poids à côté d’un meilleur accès à l’éducation. Heureusement, López Obrador travaille aussi sur ce dernier dossier.
Des excuses pour les sacrifices humains !
Malgré les bonnes intentions, le Mexique est tellement métissé qu’on se demande à quoi sert la démarche du président, sinon à créer davantage de tensions entre deux communautés perméables. Comment séparer le Mexique de l’Espagne, l’Amérique de l’Occident, la pyramide et la croix ? Le Mexique n’est pas moins espagnol qu’amérindien : il ne peut pas revenir en arrière pour effacer la moitié de lui-même. Aussi violente qu’elle ait été, la conquête du Mexique est indélébile : elle a été écrite à l’encre rouge sang.
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Non seulement la demande est aussi revancharde que contreproductive, mais elle réhabilite le mythe du bon sauvage, qui infantilise les Amérindiens au nom d’une identité fantasmée. Dans son Dictionnaire amoureux de l’Amérique latine, l’écrivain péruvien Mario Vargas Llosa écrit que « ceux qui s’indignent, à juste titre, des crimes et de la cruauté des conquistadors espagnols à l’encontre des Incas […] n’ont pas versé la moindre larme sur les milliers, les centaines de milliers, voire les millions d’Indiennes et d’Indiens sacrifiés à leurs dieux, dans leurs barbares cérémonies, par les Incas, Mayas, Aztèques, Chibchas ou Toltèques ». Le néo-révisionnisme s’accommode très bien du deux poids deux mesures.
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