Monsieur Bob Rae
Candidat à la direction du Parti Libéral du Canada
OTTAWA
Cher monsieur Rae,
«Le pays que je chéris est arrivé au bout de son rouleau. Le Canada a été réformé. Il y a 25 ans, le Québec en a été expulsé. Toutes les tentatives pour le ramener ont échoué. Finissons-en! Passons à autre chose». Ainsi devons-nous résumer vos propos qui rejoignent en tous points ceux de Trudeau et de Chrétien?
Vous confesserions-nous au passage notre relative surprise à voir un débat sur la reconnaissance de la nation québécoise prendre autant d'ampleur à l'intérieur de votre nouvelle formation politique alors que la proposition qui a déclenché l'orage est absolument anodine? Débattant d'une reconnaissance sans effets juridiques elle soulève un tel tollé que, si elle en avait évoqués, elle n'aurait même pas été adoptée. C'est dire la place centrale qu'occupe la négation de la nation québécoise dans la conception et à la pratique du fédéralisme canadien rénové de 1982.
Aussi inoffensive soit-elle, la proposition vous piège néanmoins! Non pas parce qu'en l'adoptant, elle serait un atout supplémentaire pour les Québécois qui marchent vers leur indépendance, mais bien parce qu'elle contredit de plein fouet la conception que le Canada se fait de lui-même depuis 1982. Le Canada n'est plus bâti sur un pacte entre peuples fondateurs mais sur les seuls individus auxquels la charte reconnaît des droits. Le Canada des individus ne peut souffrir plus longuement les réalités nationales consistantes. Il s'accommode tout au plus de particularités ethno-culturelles folklorisées qui ne présentent pas de danger à sa «nation building». Il en est ainsi que dans des proportions parfaitement inversées, contrairement aux Québécois, trois Canadiens sur quatre ne reconnaissent pas la nation québécoise. Voilà la vraie difficulté. Voilà le véritable obstacle. Voilà la vraie nature du nouveau Canada. Et mieux que quiconque vous savez qu'absolument rien n'est possible pour changer quoi que ce soit à cette réalité. Il n'y a ni volonté populaire, ni volonté politique, ni capacité juridique. Tout est parfaitement verrouillé. «Pour mille ans», avait dit Trudeau.
Et que propose le leader Rae? Prendre le taureau par les cornes et faire le boulot de conviction d'un vrai leader? Au contraire. Vous proposez de prendre encore plus de recul, bien que la situation perdure depuis 25 ans! Une nation étant une nation, en français comme en anglais, proposez-vous de mettre les points sur le «i» et les barres sur les «t»? Que non! Plutôt fouiller une fois de plus dans le dictionnaire pour trouver encore d'autres mots qui auront surtout pour objectif de ne pas nommer la réalité. Souhaitez-vous être honnête et franc, mettre pied à terre et dire sans ambages que cette question de fond est sans solution? Surtout pas! Le grand leader que vous êtes affirme plutôt que nommer une nation est de l'ordre des symboles. Le cas échéant, pourquoi ne pas vous adresser aux Canadiens et aux Canadiennes pour leur dire que nommer le Québec de son vrai nom de nation n'engage à rien? Dans les faits, vous savez fort bien qu'il y a là plus qu'un symbole et que, de toutes façons, les symboles sont extrêmement importants dans le vouloir vivre ensemble des sociétés. Le Canada en sait quelque chose, lui qui, depuis des décennies, investit des sommes colossales dans l'achat systématique des symboles de son territoire sans oublier les embardées magistrales qu'il se paie avec nos impôts dans des commandites légales et illégales qui n'ont pour seul but que d'occuper et de domestiquer l'imaginaire et l'espace symbolique. Pas important les symboles? Vous la raconterez à d'autres. Et si nous ajoutons le culot que vous avez de proposer la poursuite des empiétements des compétences du Québec et des provinces en vous immisçant en santé, en éducation, dans les garderies, les municipalités, etc., la boucle est bouclée.
Vous croyez représenter le changement? Grand bien fasse au Canada. Il vivra avec ses décisions. Quant au Québec, il aura compris que pour son mieux être il ne peut pas davantage compter sur vous que sur les autres et que son avenir est ailleurs. Du côté du monde précisément. Avec tous les pays qui entre eux se reconnaissent, se respectent et développent des rapports mutuellement favorables. Alors le Canada comprendra et reconnaîtra, dans le concert des nations, la nation québécoise de la même manière qu'il en a reconnues plusieurs dizaines ces dernières années.
C'est le Conseil de la souveraineté du Québec qui vous écrit. Sans vouloir se mêler du processus électoral de la formation politique que vous avez nouvellement choisie, il tient à vous formuler son humble appréciation du type de leadership que vous proposez à vos commettants canadiens. Composé de membres provenant de toutes les organisations nationales et souverainistes du Québec, y compris des trois partis souverainistes - Bloc québécois, Parti québécois et Québec solidaire - dans la réalisation de son mandat de promotion de la souveraineté du Québec, le Conseil se soucie de la transparence des débats. C'est l'objectif de la présente missive et la raison pour laquelle il la rend publique.
Salutations cordiales,
Gérald Larose,
Président du Conseil de la souveraineté du Québec.
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