Le financement illégal de la campagne du Non par Ottawa lors du référendum du 30 octobre 1995, au mépris de la démocratie et des lois électorales du Québec, est encore aujourd’hui, en 2020, entouré de mystère.
Avec Robin Philpot1, j’ai publié en 2006 Les secrets d'Option Canada, qui révélait les dépenses référendaires illégales de cette officine de propagande opérée par les partis libéraux du Canada et du Québec, sous la couverture officielle du Conseil pour l'unité canadienne. J’avais obtenu la totalité des documents comptables d’Option Canada que tout le monde croyait détruits depuis 19972. À la suite des révélations de notre livre, le Directeur général des élections du Québec a mandaté le juge Bernard Grenier pour mener une enquête.
Dans son rapport sur les activités d’Option Canada, le juge Grenier a estimé à 500 000$ les dépenses qui n’avaient pas été autorisées ou déclarées pour le seul mois qui a précédé le référendum. Ce n’est qu’une partie infime des sommes gigantesques que le fédéral a dépensées illégalement et clandestinement pour assurer le triomphe antidémocratique du camp du Non.
J’avais déjà découvert à l’automne 1997 qu’en plus d’Option Canada, le Conseil pour l’unité canadienne avait multiplié ses raisons sociales pour mieux dissimuler ses activités de propagande et de financement: Conseil Québec, Coalition des partenaires, Impact 95, Conseil québécois des gens d'affaires pour le Canada, Génération 18-35. Tous ces pseudo-organismes indépendants partageaient le personnel et les locaux du CUC.
La commission Grenier n’a pu enquêter sur toutes les illégalités commises par le camp du Non durant la période référendaire, seulement sur celles qui se rapportaient à Option Canada, et encore fallait-il qu’elles ne touchent pas la compétence constitutionnelle d’Ottawa. Une avocate du gouvernement fédéral, exceptionnellement autorisée à assister à l’audition de témoins, a exigé à plusieurs reprises que le procureur de la commission retire des questions posées parce qu’elle jugeait qu’elles dépassaient la compétence constitutionnelle du commissaire.
Le juge Grenier a quand même fait des découvertes qui sont toujours secrètes à l’heure actuelle: ce que lui ont dit les 90 témoins durant les audiences à huis clos et plus de 4500 documents qu’ils ont déposés en preuve sont frappés d’une ordonnance de non-diffusion, de non-communication et de non-publication sans limites de temps. À ma connaissance, seuls les plus grands secrets d’État canadiens bénéficient d’un tel privilège d’éternité. Peut-on trouver un meilleur indice indiquant qu'ils doivent contenir des révélations extraordinairement préjudiciables au gouvernement libéral de Jean Chrétien et à la cause fédéraliste?
Après avoir établi les sommes dépensées en infraction aux lois électorales du Québec, le commissaire Grenier écrit: «Ce montant ne tient cependant pas compte des dépenses non autorisées et non déclarées que nous n’avons pas été en mesure d’évaluer.»
Par exemple, les sommes consacrées illégalement au love-in de la place du Canada ne provenaient pas d’Option Canada: «La preuve présentée devant moi n’a pas permis de déterminer la source du financement du rassemblement du 27 octobre au centre-ville de Montréal.»
Le commissaire Grenier avait mandaté les juricomptables St-Laurent Faucher pour procéder à des vérifications. Certaines de leurs découvertes ont dû être retranchées du rapport du juge Grenier parce qu’elles allaient au-delà de la compétence constitutionnelle du commissaire.
Autre indice qu’Option Canada servait de paravent pour dissimuler des opérations inavouables: la personne chargée par la ministre du Patrimoine canadien Sheila Copps de superviser Option Canada provenait du Service canadien du renseignement de sécurité, et avait, à titre de cadre des services secrets, l’habilitation sécuritaire de «Très secret/Top secret».
Les archives d’Option Canada indiquent, sans donner plus de détails, que l’un des projets «spéciaux» les plus pointus de l’organisme portait le nom de code «Projet #4 LD», LD étant les initiales de la responsable.
Elle ne s’occupait d’ailleurs pas seulement d’Option Canada. Le rapport des juricomptables Kroll Lindquist Avey (Qui est responsable? Vérification juricomptable), publié en annexe du rapport du juge Gomery cette fois, indique qu’en plus des cinq millions affectés au poste «Unité – Le référendum au Québec», LD a supervisé l’allocation de 8 millions au poste «Identité canadienne», celle de 3 millions au poste «Unité – Communications», et celle de 3,5 millions au poste «Identité canadienne, Phase II», pour un total de 19,5 millions de dollars. Tout cet argent a été puisé à «La réserve pour l’unité», source de financement du scandale des commandites, la magouille libéro-politico-financière pour contrer la résurgence du mouvement indépendantiste après l’échec référendaire.
Dans son rapport, le juge Grenier estime que LD s’est conformée aux «règles hiérarchiques et éthiques» du gouvernement du Canada et que son comportement en tant que fonctionnaire fédérale est irréprochable. J’en suis convaincu. Elle n’a fait qu’obéir aux ordres. Elle mérite l’Ordre du Canada (si elle ne l’a pas encore obtenu)! Bene merenti de patria.
Vingt-cinq ans après, le Parti québécois doit réclamer du gouvernement Legault de rendre publique l’intégralité des archives de la commission Grenier, et de faire la lumière sur toutes les manipulations qui ont souillé la campagne référendaire de 1995. Je sais, je rêve en couleur. Encore une fois. Ceux qui ont perpétré ces crimes contre le peuple québécois peuvent dormir en paix. Comme les agents de la GRC qui ont commis des crimes contre le mouvement indépendantiste dans les années 70, ils resteront à jamais impunis.
1Robin Philpot a publié en 2015 une édition revue et enrichie (Le Référendum volé: 20 ans plus tard) de son étude du début des années 2000.
2Après avoir analysé ces documents, nous les avons mis à la disposition du Directeur général des élections du Québec et de la vérificatrice générale du Canada.