Serment au roi : la fin des parjures

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Le vrai souverain est le peuple québécois

Depuis que Paul St-Pierre Plamondon a annoncé qu’il ne se plierait pas au test d’allégeance à Charles III, souverain prétendu du Québec, plusieurs ont paru troublés devant tant de droiture. Chaque jour ou presque, certains commentateurs, surtout radio-canadiens, bêlent à chaude voix pour dissuader le mouton noir d’oser ébrécher l’enclos, ne serait-ce qu’un tout petit peu...


Brandissant l’article 128 de la Loi constitutionnelle de 1867 à la manière d’une vache sacrée, les bêleurs veulent nous persuader que la prestation du serment au roi serait une condition impérative, indépassable, sine qua non de l’entrée en fonction de nos députés à l’Assemblée nationale. À leurs yeux, l’élu qui, n’ayant pas prononcé les mots magiques, irait quand même siéger au Salon bleu, se rendrait alors coupable d’hérésie constitutionnelle, voire d’un crime de lèse-majesté, passible d’expulsion à coups de pied de l’hôtel du Parlement... 


«C’est impossible!» analyse Alec Castonguay. «Il faut prêter serment au roi ou à la reine [...]», conclut-il savamment.


«C’est illégal!» de dire la très perspicace Michelle Courchesne, qui admet pourtant n’avoir jamais vraiment cru à ses propres crédos monarchistes, du temps qu’elle était députée...


«Il va manger de la soupe!» renchérit Dimitri Soudas.


Absurde et ahurissant


Il est proprement absurde et ahurissant d’entendre des commentateurs supposément démocrates, voire «progressistes» pour certains, faire preuve d’un tel conservatisme institutionnel et, surtout, d’une telle rigidité dans leur interprétation – certes amatrice – du droit applicable. Sur le mode «cela est, donc cela doit être, et fin de la discussion», ces gens-là affichent, peut-être sans le vouloir, un mépris éhonté du principe démocratique et du droit naturel de tout citoyen, y compris nos élus, à la liberté de conscience. J’y vois également un mépris envers tous nos prédécesseurs qui, au fil de l’histoire, ont lourdement souffert de la tyrannie coloniale britannique. C’est aussi un mépris envers la très vaste majorité des Québécois qui, en 2022, en ont franchement marre des têtes couronnées...


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Si l’on s’en tenait à la lecture littérale que proposent nos bêleurs, il faudrait, par exemple, déclarer invalides tous les serments d’allégeance prêtés en français depuis 1867, sachant que le vrai formulaire juratoire n’a valeur officielle qu’en langue angloise... Suivant cette logique, l’ensemble des lois promulguées dans l’histoire du Québec devraient donc être annulées...


De même, à remonter à 1905, il faudrait considérer comme irrecevables toutes les «affirmations solennelles» souscrites par nos députés en lieu et place du serment d’allégeance, la loi suprême n’autorisant pas un tel compromis.


Allons plus loin dans l’absurde. Tous ceux qui, en conscience et en acte, ont pu placer leur loyauté jurée envers le peuple québécois au-dessus de leur allégeance au roi, devraient être condamnés pour parjure et félonie envers la couronne, comme au bon vieux temps du régime colonial...


En vérité, les lectures simplistes et autoritaires de l’article 128, quelles qu’elles soient, ne vident en rien la question qui nous occupe. Et l’invocation des quelques précédents canadiens ou britanniques en ce domaine ne la vide pas davantage.


D’une part, l’encadrement et la mise en œuvre des prestations juratoires de nos élus à Québec relèvent à part entière de la régie interne de l’Assemblée nationale, qui échappe, en principe, au contrôle des tribunaux. D’autre part, à la différence d’une cour de justice, l’Assemblée nationale constitue une entité fondamentalement politique qui, comme telle, n’est pas formellement liée par les précédents. C’est-à-dire que dans les limites de ses attributions, l’Assemblée nationale est souveraine pour changer les règles internes du jeu parlementaire, ce qu’elle a d’ailleurs déjà fait dans le cas du serment d’allégeance. 


Par conséquent, si les officiers de l’Assemblée nationale ou, à défaut, ses membres convenaient de ne faire subir aucune conséquence aux députés répugnant à jurer fidélité à Charles Windsor, l’affaire serait à peu près close. Je dis «à peu près», car en théorie, il serait toujours loisible à Ottawa ou au lieutenant-gouverneur d’employer leur vieil arsenal de pouvoirs extraordinaires dans le but de paralyser l’activité législative à Québec... Mais, ce serait là une manœuvre éminemment illégitime et scandaleuse, donc improbable. En définitive, l’Assemblée nationale peut – et doit – en finir avec ce rituel humiliant. Dans la tradition politique anglaise, qui reconnaît le principe d’effectivité, ce ne serait certes pas la première fois qu’un Acte parlementaire, posé en fait, génère un droit nouveau... 


À ce titre, le doute étant jeté sur l’effectivité et l’impérativité de l’article 128, le secrétaire de l’Assemblée nationale, Siegfried Peters, devrait s’abstenir, dans les circonstances, de suspendre a priori le cours normal de notre démocratie parlementaire, c’est-à-dire qu’il devrait laisser siéger PSPP, jusqu’à ce que le futur président et les membres tranchent légitimement la question, par résolution ou autrement.


Il y a longtemps que nos élus auraient dû mettre un terme à cette pratique d'un autre âge, eux qui possèdent déjà toute la légitimité démocratique pour refuser d'ainsi se parjurer sous le regard médusé de ceux et celles qui les ont portés à l'Assemblée nationale... Car, en effet, si les mots ont encore un sens, il s'agit bien d'un parjure. Sachant que la plupart des députés qui prêtent le serment en question n'y croient pas une seule seconde, cette mise en scène n'est autre que malhonnête vis-à-vis de leur conscience propre, malhonnête vis-à-vis du peuple québécois, mais aussi malhonnête vis-à-vis de Charles III lui-même. 


Je plaide donc pour la fin des parjures, la fin de l’hypocrisie, la fin de nos dissonances cognitives. Le vrai destinataire de l’allégeance de nos élus, donc le souverain, n’est pas le roi du Canada et sa couronne, mais bien le peuple québécois – et sa république en devenir.


Maxime Laporte