Éric Desrosiers - Contrairement à ce que certains ont pu dire, le Québec et les autres provinces « savent exactement ce qu’elles font » dans le cadre des négociations canado-européennes de libre-échange, assure le négociateur en chef du Québec, Pierre Marc Johnson.
Le Québec n’est pas en train de se faire rouler dans la farine par des négociateurs plus aguerris que lui, ni en voie de brader ses pouvoirs en matière de services publics, a-t-il déclaré hier au Devoir en réponse à un avis juridique très critique dévoilé cette semaine et basé notamment sur des offres canadiennes datant du mois d’octobre.
« Cette analyse se base sur des textes incomplets qui ont fait l’objet de fuites il y a très longtemps. C’était des textes préliminaires auxquels de nombreuses modifications ont été apportées. […] Sans vous dévoiler les contenus, pensez, par exemple, à l’évolution rapide à laquelle on a assisté au Québec dans le domaine du développement énergétique récemment. Croyez-vous que le Conseil des ministres me laisserait conclure un traité qui l’empêcherait d’y intervenir ? »
En fait, répète-t-il, on entend mettre plusieurs secteurs à l’abri des dispositions générales de l’éventuel Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne (AECG), notamment ceux des services de santé, d’éducation et de services sociaux, comme le Canada l’avait fait pour l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), ou encore les sociétés d’État, comme Hydro-Québec ou la Société des alcools du Québec. Certaines concessions seront toutefois nécessaires si l’on veut obtenir, en échange, un meilleur accès « au plus riche marché unique au monde ».
« Cette image de pauvres petites provinces incompétentes qui s’apprêtent à brader nos compétences est très, très loin de la réalité, peste l’ancien premier ministre québécois. Les provinces savent exactement ce qu’elles font. Elles ont un niveau d’expertise plus élevé que le fédéral dans leur domaine de juridiction. »
Inconscience et incompétence
L’expert en commerce international Steven Shrybman concluait, dans un avis juridique commandé par le Syndicat canadien de la fonction publique et dévoilé dans Le Devoir mardi, que les provinces étaient soit inconscientes soit incompétentes dans ces négociations tellement les exceptions qu’elles ont demandées sont « rares et superficielles en comparaison de celles réclamées par l’Europe ». Il disait, par exemple, n’avoir retrouvé aucune protection substantielle des pouvoirs des provinces, des villes et autres autorités publiques infranationales en matière de santé, d’éducation, de gestion de l’eau ou encore de protection de l’environnement. Il prévenait que ces concessions s’étendraient automatiquement aux États-Unis et au Mexique en vertu de la clause de la nation la plus favorisée de l’ALENA et qu’elles équivaudraient à une « sorte de réforme quasi constitutionnelle » puisque pour rouvrir le traité, il faudrait la permission d’Ottawa.
« Une province qui consent à ouvrir des secteurs relevant de sa juridiction en échange d’avantages à l’étranger se comporte, à toutes fins utiles, comme le ferait un État souverain », observe Pierre Marc Johnson. À ceux, comme Steven Shrybman, qui s’inquiètent d’une trop grande diversité des exceptions qu’elles réclament, il répond qu’elle tient à leurs réalités qui sont souvent, elles aussi, différentes. « Serait-on tellement surpris d’apprendre que l’Ontario accorde une attention particulière au secteur de l’auto, l’Alberta à celui du pétrole et le Québec au secteur manufacturier et des services ? »
Lui-même avocat, il ne nie pas qu’il serait difficile de rouvrir une éventuelle entente avec l’Europe. « Mais cela n’arrive jamais, affirme-t-il. On assiste, en pratique, à un processus de libéralisation constante depuis au moins la Deuxième Guerre mondiale. »
Quant à la clause de la nation la plus favorisée de l’ALENA, elle se limite aux secteurs des services et de l’investissement, répond Pierre Marc Johnson. Elle ne s’appliquerait pas à tous les autres domaines faisant l’objet de discussions avec les Européens, dont celui des contrats publics, et changerait donc peu de choses aux règles commerciales en vigueur en Amérique du Nord.
Dernière ligne droite
Lancées en 2009, les négociations de l’AECG devraient être conclues d’ici la fin de l’année. Présenté comme un accord de « nouvelle génération », le projet d’entente porte sur un vaste ensemble de questions, dont la réduction des barrières commerciales non tarifaires, les contrats publics, l’agriculture, la mobilité de la main-d’oeuvre, l’investissement, la protection des brevets pharmaceutiques et la diversité culturelle. Comme l’une des principales raisons qui ont convaincu l’Europe de s’engager dans ces discussions est la perspective de gagner un accès aux services et aux contrats publics relevant des gouvernements infranationaux, les provinces ont, pour la première fois, été invitées à participer directement aux négociations.
De nombreuses voix se sont élevées contre le manque de transparence de ces négociations, tant dans les rangs de l’opposition à Ottawa que dans ceux des syndicats et du mouvement altermondialiste. L’une des principales inquiétudes soulevées est liée à la crainte de voir les gouvernements infranationaux canadiens perdre leur capacité d’exiger des retombées locales en échange des 100 milliards de contrats publics qu’ils accordent chaque année.
« La dernière ligne droite est en vue, dit le négociateur québécois. Ça ne veut pas dire que tout est réglé, mais on voit les enjeux qui devraient se régler rapidement et on est en train d’identifier les questions plus délicates sur lesquelles un jeu de troc devra se faire dans quelques mois. »
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