Jean-Yves Camus est directeur de l'Observatoire des radicalités politiques (ORAP). Son dernier ouvrage Les droites extrêmes en Europe, coécrit avec Nicolas Lebourg, est paru le 5 novembre 2015 aux éditions du Seuil.
LE FIGARO. - En Pologne, le drapeau européen a été retiré de la salle de presse du gouvernement. «Nous sommes membre de l'Union européenne, membre actif», a déclaré le Premier ministre, Beata Szydlo. «Nous avons arrêté un principe, selon lequel les réunions du gouvernement polonais et les déclarations après les réunions se feront sur fond des plus beaux drapeaux à mes yeux, le drapeau blanc-rouge», de la Pologne. Que dit cette mesure symbolique de l'état d'esprit des Polonais quant à l'Union européenne?
Jean-Yves CAMUS. - Le nouveau gouvernement polonais, comme le chef de l'Etat, proviennent du parti conservateur Droit et Justice [Prawo i Sprawiedliwość, PiS]. C'est un cabinet monocolore et selon la classification de notre ministère des affaires étrangères, il est «eurosceptique». Ce qui signifie, en fait qu'il veut une adhésion à géométrie variable, qui accepte les fonds structurels et refuse la répartition des migrants, contre lesquels le nouveau ministre des affaires étrangères, Witold Waszczykowski, a eu des mots très durs. On peut évidemment refuser les quotas, réclamer, comme le font les polonais, une fiscalité européenne différente ( la «flat-tax» y a beaucoup d'adeptes), favoriser le charbon plutôt que les énergies non polluantes.
Mais alors, il faut retrouver sa souveraineté intégrale et sortir de l'UE. Le retrait du drapeau européen n'est qu'une conséquence symbolique de cet entre-deux assez intenable.
Le député européen président du groupe parlementaire libéral (ADLE) Guy Verhofstadt, a ironisé sur Twitter: «Donc vous ne voulez pas du drapeau, mais vous voulez encore de l'argent?». Ce trait illustre-t-il l'attitude des pays de l'Est, toujours enclins à appartenir à l'UE pour bénéficier des fonds européens fournis par les pays contributeurs nets (Allemagne, France, Pays-Bas) et défendre leurs intérêts nationaux sans en accepter les contraites?
Il faut comprendre que la Pologne, comme tout l'ancien bloc de l'Est, a passé 35 ans à être soumise à une puissance étrangère. Auparavant, il y avait eu, en Pologne, en Tchéquie, une occupation nazie lors de laquelle seule une petite minorité avait collaboré. De la fin du XVIIIème siècle jusqu'en 1918, la Pologne est dépecée, soumise. De cette période reste le sentiment que le pays a été «lâché» par l'Europe occidentale. On peut donc comprendre que le sentiment national soit particulièrement exacerbé quand il redevient enfin possible qu'il se manifeste. Toutefois l'adhésion à l'UE comprend des droits (ou bénéfices) et des obligations, comme tous les traités. L'erreur de l'Europe est de ne pas avoir prévu, lors de l'adhésion, que les pays d'Europe de l'Est n'avaient pas les mêmes fondamentaux que nous (ce qui est leur droit!), donc que le pacte européen conclu avec eux était biaisé.
Depuis la fermeture par Budapest de sa frontière avec la Croatie à la mi-octobre, la Slovénie est devenue le principal pays d'entrée des migrants dans la zone Schengen. «Les engagements pris à Bruxelles par les dirigeants des pays situés sur la route orientale n'ont pas été tenus. Le flux de migrants ne s'est ni réduit, ni ralenti», a souligné le chef de gouvernement slovène, M. Cerar, qui déplore le manque d'efficacité de l'Union européenne dans la gestion de la crise des migrants. Les pays de l'Est, derniers entrés dans l'UE, en sont-ils également devenus les plus critiques?
Les plus critiques? Oui, si l'on excepte la position britannique...et le fait qu'en 2005, la majorité des Français a voté contre le TCE! Sur cette question des migrants, n'oublions pas aussi que ce sont les pays les plus exposés.
La frilosité des pays Est-européens à envisager l'accueil de populations non-européennes prête à critiques, mais il est exact qu'ils ne peuvent porter seuls le fardeau du contrôle des frontières extérieures de l'Union. Il y a là une faillite collective de l'Europe. La Slovénie est un pays de seulement 2 millions d'habitants, elle a le droit de dire qu'elle ne peut faire face seule à 76 000 arrivées par semaine.
Après les attentats de Paris, le Premier ministre slovaque, Robert Fico, a décidé vouloir «surveiller chaque musulman de Slovaquie». Comment gérer le grand écart qui se manifeste au sein de l'UE entre pays d'Europe occidentale et pays de l'Est sur l'islam et les musulmans?
On ne le gérera pas, en tout cas pas avant longtemps. En Europe de l'Est, l'appartenance nationale se détermine par l'ethnie, la langue et la religion. Et cette religion est chrétienne: catholique et minoritairement protestante, ou encore orthodoxe. Cette région a été partiellement sous domination ottomane, le point ultime d'avancée des Ottomans est Vienne, qui ne les repousse définitivement qu'en 1683. Le sentiment d'être une avant-garde et un rempart de la chrétienté est toujours présent. Aucune histoire coloniale, de toutes petites minorités musulmanes autochtones sauf en Bulgarie: le fait musulman reste à la fois très méconnu (le temps a passé) et fantasmé dans ces pays.
La Hongrie, la République tchèque, la Roumanie et la Slovaquie ont voté contre le projet de quotas proposé par la Commission européenne. La Hongrie a annoncé sa décision de contester en justice devant la CJUE les quotas de réfugiés. Ce type de contestation est fréquent de la part des pays de l'Est. Le centre de décision de l'UE s'apprête-t-il à se déporter à l'Est? Les pays d'Europe de l'Est pèseront-ils de plus en plus sur les décisions de l'UE?
Il est peut-être en train de se constituer une aire de ce que la chancelière Merkel a appelé, au sujet de Orban, la «démocratie illibérale». La vie politique reste pluraliste, les élections sont libres mais le consensus est majoritaire sur une conception organique et ethnocentrique de la société ainsi que sur des valeurs morales nettement moins laïcisées qu'à l'ouest. Au-delà de l'avenir de ces pays sur les mécanismes décisionnels de l'UE, la vraie question est de savoir si les droites ouest-européennes regarderont vers Droit et Justice, ou le FIDESZ, comme vers un phare, alors qu'on pensait, au moment où ces pays ont rejoint l'UE, que les droites de l'Est se modèleraient sur notre logiciel libéral-conservateur.
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