Dans les squares parisiens, périodiquement, les jardiniers sélectionnent les pelouses les plus fatiguées avant qu'elles ne se transforment en terre battue. Puis, ils y plantent de petites pancartes sur lesquelles est écrit «pelouse au repos». Il s'agit de demander aux passants de ne pas y marcher pendant un certain temps.
Les mots sont comme les pelouses. Ils s'usent. À force de trop les piétiner et de leur faire dire tout et n'importe quoi, ils ne veulent plus rien dire. Ils sont comme ces terres trop cultivées année après année qui ont besoin d'être mises en jachère.
C'est le temps des résolutions? Pourquoi ne pas laisser certains mots se reposer pendant toute l'année 2012. Nous les avons trop utilisés. Ils ne veulent plus rien dire. Dans un an, qui sait, peut-être auront-ils retrouvé un peu de fraîcheur. Et puis, cela nous obligera à faire travailler nos méninges. L'essentiel étant de fuir ces mots-valises qui sont devenus de véritables béquilles de la pensée.
Autrement: Peu de mots symbolisent mieux le vide politique en ces temps de crise. Pas un politicien qui ne propose de «gouverner autrement», de pratiquer la «démocratie autrement» ou de refonder l'école ou l'État «autrement». Une façon comme une autre de ne rien dire. Voilà pourquoi on a vu fleurir l'«autre politique» ou l'«autre démocratie». Il existe même un parti politique nommé «Québec autrement». Québec comment? Oui, oui, Autrement! On ne s'étonnera pas que le dernier Conseil national du PQ, finalement reporté, devait avoir pour thème «la politique autrement». Il n'y a pas de symbole plus clair de la peur de nommer les choses. Je dirais même d'une certaine castration politique. La prochaine fois qu'un politicien proposera d'agir «autrement», on devrait lui répondre que la meilleure façon de commencer à le faire serait de se taire, le temps peut-être de trouver un mot plus précis qui dise vraiment quelque chose.
Indignés: Je sais, c'est le mot de l'année. Mais moi, j'en ai assez des indignés. Surtout quand on y met n'importe quoi. Qu'y a-t-il de commun entre un manifestant de la place Tahrir et un étudiant de l'UQAM qui fait du camping au square Victoria? Le premier risque sa vie. Le second... d'attraper un rhume. Et puis, a-t-on tellement peur de dire que certains ont justement eu le courage de ne plus s'indigner devant leur téléviseur pour se révolter contre la dictature ou contre la crise. Bref, d'agir et de faire de la politique, mot tabou entre tous chez beaucoup d'Indignés justement. Laissons donc l'indignation aux dames patronnesses... indignes ou pas. «L'indignation est une facilité, pas une vertu», disait le philosophe Luc Ferry.
Ouverture: C'est probablement le mot le plus galvaudé au Québec. Il fait penser au bénédicité que nos parents récitaient avant le repas. En un quart de siècle, aurions-nous simplement remplacé «l'amour du prochain» prêché en chaire par «l'ouverture à l'autre» prêché par l'État? À cette nuance près que l'«ouverture» ne se cantonne plus à la morale, mais prétend envahir la politique. Pas une déclaration publique donc, sans que son auteur ne soit obligé de prêcher l'«ouverture». Surtout lorsqu'il parle d'immigration. On veut bien de l'intégration et de la laïcité, mais elles doivent être gentilles, aimables, sages et douces. L'«ouverture» est à la politique ce que le «light» est au Coca Cola. Une formule édulcorée. Bizarrement, il s'agit le plus souvent de s'«ouvrir» à des traditions plus ou moins archaïques, qui elles n'ont rien de «light» et sont même souvent «heavy». Bref, de s'ouvrir à... la fermeture! Comprenne qui pourra.
Intelligent: N'en avez-vous pas assez de ces téléphones, tableaux et autres engins prétendument «intelligents»? À côté de tous ces machins inertes soudainement devenus tellement ingénieux, sagaces et perspicaces, je ressens comme une petite gêne pour notre pauvre genre humain. Vous me direz que si une simple tablette peut être considérée comme «intelligente», un élève qui ne sait pas accorder ses participes passés peut bien accéder au cégep et à l'université. Vite, qu'on lui décerne le prix Nobel!
Persévérance: Dans le lexique du jargon gouvernemental, peu de mot ont connu un succès aussi fulgurant. Il fut une époque où l'on parlait du «décrochage» et des «drop out». Mais, ils décrivaient une réalité par trop irritante. Surtout que les mêmes chiffres décevants revenaient à chaque année. Les spécialistes de la langue de bois ont donc inventé un mot plus policé, moins rugueux, afin de déplacer le débat. Ils l'ont même affublé d'un énorme anglicisme. Car, pour stimuler la «persévérance scolaire», il ne suffisait plus de se donner des «objectifs». La novlangue exigeait des «cibles» (target). Les médias ont docilement obtempéré. Pour le même prix, ils ont adopté le mot bateau et son anglicisme en prime. Le débat s'est donc déplacé. Mais, la réalité, elle, est plus têtue.
Patente à gosse: On peut bien critiquer la vulgarité du Bye bye quand un des principaux débats de cette année politique a porté sur la «patente à gosse». L'exemple venait de haut. S'il en fallait un exemple, le mot aura illustré la médiocrité de certains débats de 2011.
Ouf, on est en 2012!
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