Les conservateurs de pacotille

Faux conservateurs et vrais cons

On le mentionne depuis plusieurs années, la droite est de retour au Québec. Il y a, du moins, un discours décomplexé se classant « à droite » qui prend de plus en plus de place dans le débat public. Par esprit de rébellion, ses figures de proue se réclament d’un concept parfois condamné sans autres formes de procès : le conservatisme. Maxime Bernier est député du Parti conservateur du Canada, tandis qu’Adrien Pouliot est chef du Parti conservateur du Québec. On se demande cependant ce que nos « conservateurs » veulent véritablement conserver.



On constate rapidement qu’ils n’ont à cœur aucune notion d’héritage ou de transmission. Bien au contraire, leur vocable mélange les références à l’avenir, à la nécessité de tourner la page sur le passé, à l’urgence d’entrer dans le XXIème siècle et à l’ouverture sur le monde. Ils sont favorables à un capitalisme libéré de toutes les contraintes, qui -sur tous les plans- se veut une révolution permanente des modes de vie. Un anti-conservatisme, en somme.



Ces « conservateurs » défendent avec ardeur le « libre marché », lequel devrait être appliqué, selon eux, à toutes les sphères de nos vies. Mais, la Guerre froide étant terminée, cette divination du « marché » ne survient pas à une époque où défendre l’entreprise privée signifie automatiquement défendre la petite exploitation familiale. Le capitalisme mondialisé est plutôt synonyme, aujourd’hui, d’une destruction des structures traditionnelles, qu’il s’agisse de la nation ou de la famille, institutions que tout conservateur cohérent devrait pourtant défendre. Ça se voit dans le dossier de la gestion de l’offre : les prétendus conservateurs n’ont que peu de respect pour les petites fermes familiales qui en arrachent et estiment plutôt que seuls les meilleurs, soit les plus rentables, méritent de s’en sortir.



Au nom de la « libre entreprise », ils sont favorables au travail le dimanche. Un conservateur y serait pourtant opposé au nom du sain repos et du temps à passer avec ses proches. Ils soutiennent aussi le modèle Uber et la précarisation du travail au nom de la concurrence entre chacun. L’épanouissement dans le surmenage y est présenté comme une perspective alléchante. Par conséquent, ces « conservateurs » estiment aussi qu’il faut dépasser la paresse du « 9 à 5 », qui avait pour mérite de séparer clairement le temps consacré à la vie professionnelle et celui accordé aux amis et à la famille. La vocation d’un individu, c’est de produire. Et seuls les meilleurs méritent d’être remarqués.



Cette vision de l’individu comme d’un soldat économique se transpose dans le débat sur l’éducation. Ces « conservateurs » en viennent à rejeter l’enseignement dit traditionnel au nom du fait qu’il n’y a pas d’argent à faire avec ça. On les entend s’inquiéter du retard du Québec dans la formation des élèves en programmation technologique et informatique, mais jamais sur le piètre enseignement du français. Les entreprises étrangères qui s’installent veulent une main d’œuvre capable de combler leurs besoins, pas des « sciences molles ». Et n’allez surtout pas parler à nos « conservateurs » de gratuité scolaire, même si cette dernière aurait le mérite de ramener l’éducation à sa véritable fonction. Par conséquent, ce nouveau « conservatisme » ne jure que par l’anglicisation de la jeunesse, car seule la langue des affaires a de quoi nous rapporter quelque chose. Le français, c’est le passé, et on ne voudrait surtout pas se replier sur soi.



Par conséquent, il faut à tout prix éviter que la culture soit protégée par quelques quotas radiophoniques ou mesures étatiques. Ces « conservateurs » s’opposent à l’idée d’un prix-plancher sur le livre, et n’ont cure des petites librairies indépendantes où l’on peut trouver des points de vue de spécialistes. Aucun problème à ce que les livres nous soient vendus par des commis de dépanneurs. En postulant que la culture est une marchandise comme les autres, nos champions du « conservatisme » pratiquent un relativisme culturel flagrant, où Metallica équivaut à Mozart et où Dan Brown vaut certainement Molière. Encore hier, le candidat à la mairie de Québec, Jean-François Gosselin (qui se vante par ailleurs de ne parler qu’en anglais à la maison) classait le troisième lien Québec-Lévis comme un projet culturel...



Leur hargne contre l’État et sa souveraineté se traduit sur deux aspects. On y admire la mondialisation et les accords commerciaux qui lient les mains des gouvernements pour prétendument protéger les individus. On y soutient dès lors un règne économique où le citoyen laisse place au consommateur, même si le domaine politique est le seul à offrir des perspectives démocratiques. Le citoyen peut changer les directions de l’État, mais il ne peut changer les traités commerciaux ou les décisions des multinationales. L’antiétatisme primaire de ces conservateurs de salon se traduit aussi dans un mépris pour le nationalisme québécois qui n’a rien à envier à celui qui se pratique à l’extrême-gauche. Aucun nationalisme, nous dit-on, ne devrait empiéter d’une quelconque façon sur les caprices individuels. Mes droits, jamais de devoirs. Une petite crise d’adolescence avec ça ?



C’est que ce « conservatisme » ne voit que des individus, pas des communautés. Leur conception de l’être humain se limite à son appât du gain. C’est pourquoi la concurrence entre les uns et les autres est vue comme un fonctionnement optimal. On n’y croit pas en la solidarité car celle-ci relèverait forcément de l’étatisme.



Bien entendu, ces « conservateurs » ont parfaitement le droit de défendre la guerre de tous contre tous. Mais, de grâce, qu’ils cessent de se prétendre conservateurs !

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Simon-Pierre Savard-Tremblay179 articles

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Simon-Pierre Savard-Tremblay est sociologue de formation et enseigne dans cette discipline à l'Université Laval. Blogueur au Journal de Montréal et chroniqueur au journal La Vie agricole, à Radio VM et à CIBL, il est aussi président de Génération nationale, un organisme de réflexion sur l'État-nation. Il est l'auteur de Le souverainisme de province (Boréal, 2014) et de L'État succursale. La démission politique du Québec (VLB Éditeur, 2016).