J’étais à Barcelone pour assister au référendum sur l’indépendance de la Catalogne. Un peuple mobilisé pour son indépendance, c'est magnifique à voir. À l’ouverture des bureaux, dimanche matin, on pouvait voir les foules attendre depuis longtemps pour s’exprimer librement. Il faut dire que « nous allons voter ! » était un des slogans du mouvement, alors même que Madrid ne cessait de multiplier les menaces et les manœuvres d’intimidation. Bien des Catalans ont même dormi à la porte des bureaux de vote pour s’assurer que la police espagnole n’y pénètre pas pendant la nuit. Cette dernière a saisi les urnes par la force dans plusieurs lieux de votation, mais a dû y renoncer dans plusieurs autres, voyant l’ampleur de la mobilisation population. À la fermeture des bureaux de votes, les Catalans scandaient avec joie « Nous avons voté ! ». Ce qui semble banal à nos yeux était, dans leur cas, un véritable exploit.
L’État espagnol a vraiment tout fait pour renforcer le sentiment indépendantiste. Il y a quelques années à peine, il y avait très peu d’indépendantistes en Catalogne. Il y avait assurément beaucoup d’autonomistes. Le caractère national distinct de ce peuple –assurément perceptible dans ses arts et sa littérature- était aussi assumé par tous. Mais des Catalans favorables à l’indépendance de leur région, ça ne courait pas les rues. Par son mépris, Madrid a su faire basculer une majorité de citoyens dans ce camp. Chapeau ! Bravo pour la brillante stratégie !
Plusieurs événements de dimanche ont été racontés dans les médias. Malgré un certain virage tardif, la communauté internationale a été d’une mollesse inacceptable à l’endroit de cette « chasse aux séparatisses », ce sport qu’affectionne chez nous Luc Lavoie. Il ne faut cependant pas s’étonner du fait que la classe politique occidentale refuse de se salir les mains et se camoufle sous un prétendu respect des « affaires internes espagnoles ». Celle-ci est aux prises avec des souverainismes qu’elle tente partout de vaincre. Ces dernières années ont été, à ce titre, très chargées. On n’a qu’à penser au référendum sur le Brexit au Royaume-Uni ou à celui sur le rejet du plan budgétaire européen en Grèce. Partout, des mouvements politiques travaillent à restituer la souveraineté nationale sur des pouvoirs divers, qu’il s’agisse de grandes corporations transnationales ou d’instances mondiales. Le cas catalan est plus classique, s’agissant d’un projet d’indépendance d’une région abritant une nation, région située à l’intérieur d’un État contrôlé par une autre nation.
L’argument massue de l’Espagne pour étouffer la démocratie catalane est celui de la légalité. L’Espagne serait légalement indivisible. Et cette légalité viendrait du fait que la Catalogne a signé la constitution espagnole et serait donc condamnée à l’accepter jusqu’à la fin des temps. Selon cette logique, les générations futures sont liées, pour toujours, par les décisions de leurs arrière-grands-parents. L’État catalan, en tenant son référendum malgré le cadre légal espagnol, a admirablement décidé de fixer ses propres règles et sa propre légitimité.
Cet épisode inspirant n’est pas sans toucher la corde sensible de plusieurs observateurs québécois. Samedi dernier, j’ai eu une conversation avec une dame dans une pâtisserie catalane vendant des sucreries à l'effigie du « Sí » pour le référendum du lendemain. Elle n'en revenait pas que le Québec ait pu pratiquer deux fois un tel exercice et qu'il ait répondu deux fois par la négative. Spontanément, j'ai eu honte. Pour les Catalans, qui font des pieds et des mains pour avoir le droit de voter, il n'y a qu'une réponse respectable quand on se fait proposer la liberté.
Pendant longtemps, le Québec a été une source d'admiration pour les Catalans et pour plusieurs autres peuples assoifés d'indépendance. Aujourd'hui, en cette ère de démobilisation, c'est la Catalogne qui suscite l'admiration des Québécois.
Cependant, au final, je ne peux me dire qu'une seule chose. Si les Catalans sont capables, nous le sommes aussi.