Le train caché

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Michel David distille le venin

On peut lire cet avertissement dans certaines gares françaises : attention, un train peut en cacher un autre. La même vigilance est de mise face à un projet de loi dont les dispositions les plus spectaculaires en occultent parfois d’autres qui semblent plus anodines de prime abord.

Dans le cas de la charte de la laïcité, l’interdiction du port de signes religieux a monopolisé presque toute l’attention et occupera assurément la plus grande place dans les travaux en commission parlementaire au cours des prochaines semaines.

De façon assez inattendue, le projet de loi 60 a cependant eu pour effet de raviver un débat en cours depuis plus de vingt ans au sein du PQ et qui est bien plus important pour l’avenir de la société québécoise que la laïcité : quel doit être le statut du français ? Des organismes nationalistes, comme la SSJBM et Impératif français, entendent remettre la question à l’ordre du jour.

Un bref historique s’impose. En 1993, après avoir préservé l’unilinguisme français dans l’affichage commercial pendant cinq ans en utilisant la clause « nonobstant », le gouvernement Bourassa s’est rallié à la règle de la « nette prédominance » édictée par la Cour suprême dans son jugement de décembre 1988. Une autre langue serait autorisée à la condition que le français occupe une place nettement plus importante.

La PQ avait alors annoncé l’apocalypse : c’en était fini du français au Québec. En août 1993, les militants réunis en congrès avaient adopté une résolution exigeant le retour aux dispositions initiales de la loi 101. Jacques Parizeau avait reporté toute décision après le référendum. À son départ, Lucien Bouchard a carrément refusé de revenir à l’unilinguisme, provoquant un divorce définitif avec l’aile radicale de son parti. Jean-François Lisée, inspirateur du célèbre discours du théâtre Centaur, qui se voulait une main tendue à la communauté anglophone, a été tenu largement responsable de cette « trahison ».

Ce débat semblait en veilleuse jusqu’au congrès d’avril 2011, quand, à la surprise générale, une écrasante majorité de délégués se sont à nouveau prononcés en faveur de l’unilinguisme français. Prise de panique, la direction du PQ a manoeuvré pour que le vote soit repris, mais la volonté réelle des militants ne faisait aucun doute.

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Le projet de loi 14 sur la langue, que le gouvernement Marois a dû renoncer à faire adopter, ne prévoyait pas le retour à l’unilinguisme dans l’affichage, mais il présentait toujours le français comme la « langue commune » du Québec dans l’espace public, ce qui était l’objectif de la loi 101. Il prévoyait également d’inclure dans la Charte des libertés de la personne qu’il constituait « un élément fondamental de sa cohésion sociale ».

Le projet de loi 60 sur la laïcité prévoit aussi de modifier la Charte des droits et libertés de la personne, mais pour inscrire dans son préambule le principe de la « primauté du français » et affirmer qu’elle fait partie des valeurs qui doivent être respectées dans l’exercice des droits et libertés.

Il y a là une différence fondamentale. Par définition, l’affirmation qu’une langue est prédominante ou prime une ou plusieurs autres langues suppose que ces dernières ont également droit de cité. Dès lors, rien n’empêche que l’anglais soit aussi une langue commune. Le Québec pourrait donc ne pas être une société française, mais une société bilingue, avec le risque d’anglicisation que cela comporte dans l’environnement nord-américain.

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Encore une fois, le responsable de ce glissement serait Jean-François Lisée, qui a fait sien depuis longtemps le principe de la « nette prédominance », y voyant non seulement la reconnaissance d’une réalité, c’est-à-dire la coexistence de plusieurs communautés linguistiques, mais aussi l’affirmation explicite de « l’absence d’une volonté d’hégémonie de la majorité francophone ».

Actuellement, dans les textes officiels du gouvernement, cet objectif non hégémonique est formulé de façon simplement implicite, en matière de respect des droits des anglophones, comme un simple ajout aux concepts de « langue officielle » ou de « langue commune », déplorait-il dans son essai intitulé Nous (2007).

Un adage veut que le législateur ne parle pas pour ne rien dire. Il conviendrait certainement d’examiner de plus près les conséquences concrètes de cette reformulation. Le rejet de l’hégémonie du français signifie-t-il que les guichetiers du métro de Montréal devraient être bilingues, comme M. Lisée l’a proposé au printemps 2013 ?

Pour autant qu’on y offre plus d’heures d’enseignement en français qu’en anglais, le principe de la « primauté » du français pourrait aussi être compatible avec la création d’un réseau collégial bilingue, qu’il a déjà évoquée. Le train caché est souvent le plus dangereux.


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