Rien ne pouvait justifier la motion de blâme contre Yves Michaud que l’Assemblée nationale a adoptée à l’unanimité le 14 décembre 2000. Cette condamnation expéditive, sans même entendre l’accusé, demeure une page très sombre dans les annales parlementaires québécoises.
Cela dit, on peut facilement imaginer les cauchemars de Lucien Bouchard à la perspective de le voir élu député péquiste de Mercier, ce qui aurait très probablement été le cas sans ce lynchage. Au sein du caucus péquiste ou dans les conseils nationaux, il aurait été totalement incontrôlable.
M. Michaud a encore montré de quoi il est capable cette semaine en invitant les employés de l’État qui tiennent à porter des signes religieux à « plier bagage » et à déménager « dans un pays où c’est toléré ». Bernard Drainville se serait sans aucun doute passé d’un appui exprimé dans des termes aussi hérouxvilliens.
Pendant des années, M. Michaud a réclamé avec raison le droit de s’expliquer devant l’Assemblée nationale, mais il n’a pas pu attendre le début des audiences publiques sur la charte de la laïcité pour décréter l’expatriation. À défaut de tolérance, qu’il dit laisser aux maisons closes, il aurait au moins pu faire preuve de cohérence.
À l’initiative du Mouvement Québec français, 101 personnalités venant de divers horizons ont dénoncé le déferlement de « Quebec bashing » dans les médias anglophones. Comparer le port de signes religieux à un « cancer » qui risque de contaminer l’ensemble de la société québécoise, comme l’a également fait M. Michaud, n’est guère mieux.
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Après des mois de débat, on peut avoir l’impression que tout a été dit. Chez les grands acteurs de la société civile, la liste des pour et des contre semble à peu près complète, mais les informations sur l’impact des dispositions du projet de charte de la laïcité demeurent d’une extrême minceur.
Hier, Gérard Bouchard a carrément accusé le gouvernement de mentir à la population, sachant très bien qu’elle n’est pas en mesure de reconnaître les faussetés qu’il lui sert. Imaginez les cris d’indignation qu’auraient poussés les ténors péquistes, M. Drainville en tête, si un gouvernement libéral avait osé déposer un projet de cette importance sans s’appuyer sur la moindre donnée concrète.
Certains chiffres commencent néanmoins à circuler. En décembre dernier, la présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé (FIQ) affirmait qu’elle n’était pas en mesure d’évaluer la fréquence du port de signes religieux chez ses 62 000 membres, mais un sondage effectué au sein de la FIQ, dont La Presse a révélé les résultats jeudi, indiquait que seulement 6,8 % portaient un signe religieux visible. Dans 93,5 % des cas, il s’agissait d’une croix ; seulement 6,5 %, soit moins de 300 personnes, portaient un hidjab.
Sur les 19 000 éducatrices qui oeuvrent dans les quelque 750 centres de la petite enfance qu’on dénombre au Québec, à peine 1 %, soit moins de 200, le porteraient. Au vu des chiffres, on constate qu’on est très loin de ce « cancer » qu’il faudrait éradiquer. Les parlementaires qui devront ultimement voter sur le projet devraient normalement exiger d’être informés de la situation exacte dans les écoles, les municipalités ou les cégeps. Encore faudrait-il que cela les intéresse réellement.
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On a comparé le débat sur la laïcité avec celui qui a mené à l’adoption de la Charte de la langue française, alors que des visions opposées de l’avenir de la société québécoise s’étaient affrontées dans un climat tout aussi émotif.
Il y a cependant une différence de taille. En 1977, le débat sur la langue avait eu lieu au début du mandat d’un gouvernement majoritaire, qui n’avait pas à se préoccuper d’une réélection à brève échéance. Quatre ans plus tard, abolir la loi 101 n’était déjà plus envisageable. Les libéraux de Claude Ryan, qui s’étaient férocement opposés à son adoption, ne parlaient plus que de l’adoucir. Cette fois-ci, tout le monde aura l’échéance électorale à l’esprit, un contexte peu propice à la recherche d’un compromis.
Afin de calmer les ardeurs de Fatima Houda-Pepin, Philippe Couillard avait laissé entendre qu’il pourrait se rallier à l’idée d’interdire le port de signes religieux aux détenteurs d’un pouvoir de coercition, mais le PLQ est revenu grosso modo au libre choix et accuse la CAQ de comploter avec le PQ pour brimer les droits fondamentaux.
Mardi, Bernard Drainville ne manquera sans doute pas d’accuser à son tour les libéraux de se faire les agents du multiculturalisme canadien au mépris de l’identité québécoise. Ceux qui défileront devant la commission au cours des deux prochains mois risquent d’avoir la désagréable impression de n’être que des figurants dans cette foire d’empoigne.
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