Le pouvoir américain sera «sauvé par une perestroïka mondiale»

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Fortes pressions aux États-Unis pour un retour à une approche plus traditionnelle de la politique extérieure

Il a attendu les six premiers mois du mandat de Donald Trump pour s’exprimer. Richard Haas, l'un des deux théoriciens les plus puissants de la politique extérieure américaine, affirme que celle-ci doit suivre un schéma logique et compréhensible de tous, avec un objectif et des moyens clairs.
Après avoir attendu poliment six mois avant de s'exprimer — depuis l'arrivée de Donald Trump au pouvoir — l'un des deux théoriciens les plus puissants de la politique extérieure américaine, Richard Haas, affirme aujourd'hui qu'il faut que cette politique étrangère existe en tant que schéma logique et compréhensible pour tout le monde avec un objectif, des moyens visant à l'atteindre, etc. Ce qui n'est guère le cas actuellement. Analysons sa pensée dans le détail.
Réparer au lieu de casser

Richard Haas est moins connu pour son parcours que pour sa solide réputation d'éminence grise du projet américain, voire mondial, d'imposition du pouvoir éternel des États-Unis et de l'Occident dans le monde. Il est possible que l'influence de cet homme sur la gouvernance secrète de notre planète soit exagérée, mais il reste parfaitement évident qu'Henry Kissinger et Richard Haas restent les deux hommes les plus écoutés au sommet des USA quand il s'agit de politique internationale.
Sa revue Foreign Affairs est un média très sérieux, qui a consacré son numéro de juillet-août à l'affirmation selon laquelle son pays devrait «avoir une politique étrangère» — car elle est inexistante actuellement selon lui. La revue développe plusieurs articles sur ce sujet, dont le plus important est celui de Haas, intitulé «Où aller à partir de là? Redémarrer la politique étrangère américaine» (Where to go from here? Rebooting American Foreign Policy).
Essayons d'en présenter les thèses principales.
Selon l'auteur, Donald Trump «a déjà troqué ses slogans électoraux contre des approches plus traditionnelles, mais nous avons actuellement besoin d'une stratégie avantageuse pour les États-Unis et leurs partenaires». «Son slogan "America first" est mauvais tout d'abord parce que tout autre pays pourrait, selon cette logique, se placer en première position et s'occuper de ses propres intérêts — au lieu de ceux des Américains», souligne-t-il.
L'auteur remarque qu'il existe actuellement assez de moyens pour mettre en œuvre une politique militaire et étrangère forte: le pays dépense dans ce domaine près de 0,5% de la richesse nationale par an, alors que la situation était manifestement plus préoccupante à l'époque de la Guerre froide.
L'administration a raison d'affirmer que la menace principale contre sa sécurité vient de Corée du Nord et que des tentatives vaines de résoudre ce problème sont menées depuis des décennies. «Une solution militaire pourrait provoquer des répercussions imprévisibles et on a donc besoin de négociations avec l'intermédiaire de la Chine. Globalement, il vaut mieux revenir en Asie à une politique traditionnelle: soutenir des alliés et créer des structures multipartites», affirme Haas.
Le même retour vers l'ancienne politique est préconisé en direction de l'Europe. «L'Union européenne est tout sauf idéale mais sa dissolution pourrait créer des problèmes pour les USA. Ainsi, il faut mettre fin au soutien des personnalités européennes qui dénoncent l'UE», souligne l'article.
«La Russie nécessite une approche plus ferme: on ne peut mener avec elle des négociations que sur la Syrie. Les sanctions doivent rester en vigueur», ajoute-t-il.
Au Moyen-Orient, Richard Haas considère qu'il est impossible de parvenir à un succès rapide. En Syrie, les États-Unis doivent créer leur force, un allié dans la lutte contre les djihadistes. «Il ne faut pas se quereller avec l'Iran, et on ne peut plus rester amis avec la Turquie. Comme la guerre contre les islamistes sera longue, il faudra renforcer la présence militaire américaine dans la région», estime l'analyste.
D'une manière générale, les États-Unis doivent reprendre leur rôle d'acteur responsable dans le monde au lieu de s'isoler des problèmes ou de renoncer aux programmes d'aide internationale et à la lutte contre le réchauffement climatique. Dans le cadre de la politique étrangère, l'imprévisibilité est une bonne tactique, mais pas une stratégie efficace.
L'ordre mondial formé après la Seconde Guerre mondiale peut être restauré, et il ne faut donc pas le détruire complètement. Il est nécessaire notamment se rendre compte des avantages que ce dernier a offerts aux USA, selon l'auteur.
Improviser: mauvaise idée
Sa logique est donc parfaitement compréhensible. Il ne s'agit pas d'une «perestroïka de la politique étrangère» mais de l'inverse. Tout allait bien mais des problèmes sont apparus avec l'arrivée d'un «homme nouveau», Donald Trump, qui a décidé de détruire tout le système au lieu de le réparer. Il faut donc aider le président américain à renoncer à ses projets dangereux: telle est la pensée-clé de Haas.
D'ailleurs, cet homme énigmatique est-il démocrate ou républicain? Son parcours (il a notamment occupé un poste diplomatique) le place plus près des républicains mais il soutient plutôt l'idée d'une politique étrangère au-dessus des partis. Les partis et leurs idées constituent tout d'abord une tactique qui vise notamment à prévenir un soulèvement de la population, alors que le projet globaliste — le maintien du monde occidental — est manifestement plus important et ne tolère aucune considération partisane.
Soulignons que Haas et les forces puissantes qu'il représente ont une pensée très logique et constatent la faiblesse apparente de l'administration Trump. Elle est due au fait que même si le nouveau président a l'intuition que l'ancien modèle ne fonctionne plus, il ne conceptualise pas la forme de l'ordre nouveau qui pourrait lui succéder. Et il est toujours dangereux de détruire sans comprendre ce qu'on veut créer après. Il est donc au moins raisonnable de maintenir le vieux système avant d'avoir une idée claire du système nouveau.
Autrement dit, Donald Trump a le sentiment tout à fait correct que le monde a changé, que les alliés se sont transformés en parasites voulant se servir régulièrement des États-Unis pour régler des querelles avec leurs voisins, que tout ce système en général détruit l'économie américaine pour construire une économie globale… En tout cas, agir dans ce contexte de manière inverse et imprévisible — pour faire peur aux amis et aux ennemis — ne constitue pas une politique, mais une improvisation.
La position de Haas et de ses affidés reste toutefois très faible, ce qui est démontré par l'absence de la Chine dans leur pensée. On a l'impression de lire un article de l'année 2000, où le caractère vétuste du système actuel était déjà évident mais que la Chine n'était pas encore une superpuissance comparable aux États-Unis du point de vue de l'influence globale. Haas affirme donc dans son article qu'il faut «laisser les Chinois s'occuper de leur affaires intérieures car ils disent que c'est tout ce qui les intéresse».
Cette pensée n'est raisonnable que dans le sens où aucun des nouveau leaders mondiaux tels que la Chine, la Russie ou l'Inde ne veut dépenser ses ressources pour torpiller l'Amérique. A quoi bon, si tout va déjà dans une direction favorable? Mais l'affirmation selon laquelle on peut ignorer des changements dans le monde affaiblit la politique étrangère des USA. Il s'agit de la politique mise en œuvre par Barack Obama, qui s'y intéressait peu et ne l'aimait guère. «Ne pas commettre de bêtises»: tel était l'adage préféré d'Obama. Une telle approche peut fonctionner à une certaine époque et s'avérer inutile à une autre.
D'où la question: que pourrait faire la Russie si le système apprivoisait Donald Trump et le forçait à mettre en œuvre la politique Obama-Haas? Que faut-il tenter d'obtenir, notamment lors de la rencontre des leaders russe et américain à Hambourg dans le cadre du sommet du G20?
Il vaut probablement mieux de ne pas attendre de percées ni de scoops et suivre la logique de Haas: ne casser aucun élément du système actuel et s'accorder seulement sur les règles du jeu pour éviter un conflit nucléaire. Rien de plus.
Et après… Nous sommes parfaitement au courant du parcours des systèmes en état de lente décomposition. Aujourd'hui, les États-Unis et leur "monde occidental" ont manifestement déjà passé l'étape soviétique de Brejnev et de Tchernenko — Haas aurait pu très bien s'inscrire dans leur époque. Mais font-ils actuellement face à une perestroïka ou à un éclatement? On ne sait pas. Il faut donc garder patience et attendre, peut-être encore plusieurs décennies.


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