Pourquoi la Russie a déjà gagné économiquement

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Le dollar, bientôt une monnaie de singe ?

Paul Raynaud, septembre 1939 : « Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts. »


Bruno Le Maire, mars 2022 : « Nous allons provoquer l’effondrement de l’économie russe. »


Clément Beaune, février 2022 : « La , c’est le PIB de l’Espagne. »


Jean-Claude Van Damme, novembre 2001 : « Je suis grand, je suis fort, je suis beau, je suis Van Damme. »


Quel est le point commun entre ces déclarations ? Elles reposent toutes sur une erreur d’analyse. Des quatre, c’est sûrement celle de Jean-Claude Van Damme qui est la moins éloignée de la vérité. Lui, au moins, ne dit pas, comme le ministre de l’Économie : « Mon intelligence est un obstacle. » Qu’il s’agisse d’inflation ou de Russie, Bruno Le Maire, c’est Madame Irma dans le cabinet du docteur Coué avec sa fameuse méthode autosuggestive. Il croit que les formules incantatoires prennent, à la longue, une dimension autoréalisatrice. En Russie, c’est le contraire qui s’est produit. L’économie ne s’est pas effondrée, le FMI prévoyant même pour l’an prochain une croissance supérieure à celle de la zone UE. C’est le paradoxe souligné par  : l’armée russe devait transformer en confettis les Ukrainiens au terme d’une guerre éclair rondement menée – elle s’est enlisée – pendant que l’économie russe serait anéantie par les sanctions.


Vent de panique


Il faut écouter Emmanuel Todd. C’est l’anti-Bruno Le Maire. Il a cette intelligence déliée qu’on entretient sur les campus britanniques où il a étudié, Oxford-Cambridge (Oxbridge), bien plus que dans nos grandes écoles, qui restent, comme leur nom l’indique, trop scolaires. Ajoutez à cela que c’est un héritier. L’héritage, n’en déplaise à Pierre Bourdieu, donne de la patine jusque dans les raisonnements. D’accord ou pas avec lui, Todd s’appuie sur des données objectives – niveau d’alphabétisation, structures familiales, etc. –, ce qui fait que les prémisses de son argumentation sont justes même si les conclusions peuvent parfois laisser à désirer (sur l’immigration, entre autres).


Il a publié l’an dernier au Japon un livre d’entretiens, La Troisième Guerre mondiale a commencé (Éditions Jean-Cyrille Godefroy) qui s’est vendu à 100.000 exemplaires. Il y reprend les analyses de John Mearsheimer, l’un des chefs de file de la realpolitik outre-Atlantique, hostile aux faucons et aux colombes, qui a très tôt fait valoir que, pour les Russes, l’ était une question existentielle, ce qu’elle n’est pas pour les Américains. Le conflit ne deviendra existentiel pour eux que si les Russes emportent la partie. Or, ils l’ont déjà économiquement emporté.


Dans les chancelleries, le triomphalisme n’est plus de mise. Début février à l’Élysée, Macron et Olaf Scholz, le chancelier allemand, ont incité Zelensky à engager des pourparlers de paix, selon le Wall Street Journal. Le général Milley, chef d’état-major américain, a reconnu, en novembre dernier, qu’il était impossible, en l’état, d’« expulser » les Russes du territoire ukrainien.


Mais officiellement, on entretient l’illusion que l’ va gagner. D'ailleurs, on peut se demander si l'on n'assiste pas, comme dans les manifs contre la , à une formidable bataille de chiffres truqués. Quand il s’agit d’évaluer les pertes russes, on recourt à la méthode de décompte de la  : on gonfle les chiffres. Quand il s’agit d’évaluer celles des troupes ukrainiennes, on recourt à celle de la préfecture de police : à la baisse. Rien de nouveau : la propagande est vieille comme la guerre. Et c'est de bonne guerre ! L’argument avancé par les militaires sur les plateaux télé selon lequel l’attaquant subirait plus de pertes que le défenseur ne tient plus lorsqu’il y a guerre de tranchées et d’artillerie. Le témoignage du volontaire français tombé aux côtés des forces ukrainiennes, mort dans le Donbass, en dit long : « Maman, c’est 14-18 au XXIe siècle ! »


La dédollarisation du monde


Rarement le traitement de l’information n’a été aussi déséquilibré. Un seul point de vue : ukraino-centré. Un seul homme : Zelensky. Sans comprendre que les sanctions économiques allaient se retourner contre nous : inflation, crise de l’énergie, privilège du dollar écorné. Car la  est en train de démontrer qu’on peut survivre économiquement, sinon prospérer, en dehors de la zone dollar.


Problème : l’Amérique finance son déficit extérieur abyssal grâce au « privilège exorbitant » du dollar. Comment ? Par l’impôt impérial. Les empires ont toujours procédé ainsi : les peuples qu’ils dominent leur payent un tribut. Les États-Unis ont seulement ajouté une variante à cette pratique immémoriale : ils ne tapent pas directement la caisse, ils nous font la politesse d’emprunter l’argent, mais ça revient au même, puisqu’ils ne le rembourseront pas. La situation peut durer tant que des capitaux étrangers continueront d’acheter des bons du Trésor américain libellés en dollar, remettant continuellement à flot un pays qui n’en finit pas de s’endetter. Jusqu’au jour où les créanciers, lassés, demanderont à être payés en yuans ou en roubles.


La monnaie américaine ressemble à ces pièces de monnaie de l’Empire romain. Pour maintenir son train de vie, Rome en est venu à rogner la quantité de métal précieux renfermée dans les pièces qu’elle frappait. En 476, quand le dernier empereur romain tomba, les pièces ne contenaient plus que 0,2 % d’argent. On s’en approche.