Tuerie au collège Dawson

Le monde virtuel de l'assassin canadien

Chronique de Sylvain Deschênes


« Le suspect est un Canadien d'origine canadienne » affirmait le responsable de la police de Montréal quelques heures après la fusillade du collège Dawson. Dans sa novlangue, cette neutralité intriguait. Le mot « Canadien », dans les discours officiels et à Radio-Canada, s'applique généralement à n'importe quel citoyen comme un antiseptique destiné à tout ramasser dans le grand tout canadien. De plus, dans des situations comme celle-ci, on affectionne habituellement le terme « Québécois » qu'on réserve aux mauvaises nouvelles et qu'on associe à « racisme », « radicalisme », « suicide ».
Né à Laval de parents indiens, le jeune homme était effectivement un représentant ordinaire de la minorité anglo-québécoise : un Canadian. Les trois quarts de cette minorité sont effectivement d'origines autres que britannique. Ces autres citoyens de l'empire ne se privent pas d'envoyer leurs enfants à l'école anglaise au Québec. Puis au collège Dawson.
Le « Canadien d'origine canadienne » avait donc le teint et les cheveux foncés, mais il s'est présenté à Dawson dans un accoutrement révélateur sous prétexte d'adhérer à la culture « gothique » :
«J'ai vu un gars sortir de l'auto. Il avait un mohawk blond et la peau très pâle, probablement maquillée. Il avait l'air gothique, avec un long manteau noir et de longues bottes. Il tenait une mitraillette dans la main droite et un pistolet dans la main gauche.»
D'abord, le « mohawk ». La coupe de cheveux associée aux représentants de cette nation iroquoïenne n'est pas anodine. Comme pour les Sikhs en Inde et les Zoulous en Afrique du sud, les Mohawks ont tenu le rôle de gendarmes de l'empire aux dépens d'autres ethnies. Pour cette raison, on les représente en guerriers redoutables et non en terroristes, bien que les actions de l'un et de l'autre puissent se ressembler quand on les sort de leur contexte.
Mais les Mohawks n'étaient pas plus blonds que les Indiens. Ni blancs. Pourquoi ce déguisement pour perpétrer ce genre d'acte meurtrier?
Je ne suis pas amateur de cette branche de l'industrie hollywoodienne qu'on appelle « films d'action ». Devant ses affiches et ses extraits violents, je me sens souvent assez perplexe. La violence, quand elle se vend sans contexte comme une marchandise en soi, comme la sexualité dans la pornographie, me met mal à l'aise. J'imagine les plus faibles de notre société, habitués à ne pouvoir regarder le monde que par la fenêtre de la télévision, se mettre à croire que la réalité est comme ça. Que les femmes aiment être humiliées et que les tueries sont des actes grandioses.
Enfermé dans sa « communauté » tout à fait virtuelle, à Laval, le jeune anglophone n'avait pas une grande culture de proximité à partager. L'anglophonie québécoise, éclatée par le multiculturalisme en une infinité d'ethnocultures de dimensions familiales, doit chercher ses marques à l'extérieur quand elle ne réalise pas son raccord au monde à travers la culture ambiante du Québec.
Les derniers écrits du fusilleur avant de se rendre à Dawson ont été : « Whiskey in the morning... mmmm... mmmm... good! ». À partir de ce moment, il a probablement entendu un réalisateur invisible lui dire : « Action! ».
« Dans la cafétéria où le tueur est entré quelques minutes plus tard, plusieurs étudiants l'ont vu arriver telle une apparition. «Avec tout son kit, il ressemblait au gars de Matrix et j'ai vraiment pensé qu'un film allait être tourné à l'école», se rappelle péniblement Michael Zakem. Avant de se précipiter sous la table pour ramper vers la porte arrière, à travers les flaques de sang, Michael a eu le temps de bien regarder le tueur, qui semblait très calme. « Il savait ce qu'il faisait, il avait l'air tellement sérieux et professionnel, comme s'il s'était pratiqué avant. Ça rendait la chose encore plus terrifiante.» »
Nous ne sommes pas du tout devant un cas ressemblant à ceux de Valery Fabricant ou de Marc Lépine, bien que dans les trois cas une fusillade ait eu lieu dans un établissement d'enseignement. Le cas Fabricant doit être rangé avec d'autres cas où un employé mécontent ou congédié revient au travail pour tuer ses employeurs. Marc Lépine, dans son délire, avait longuement identifié ses cibles, les discriminant même soigneusement dans l'opération. Nous n'avons pas non plus affaires à de jeunes ados laissés à eux-mêmes comme à Columbine.
Alors quoi?
La description associant la scène réelle à celle d'un film d'action populaire nous laisse entrevoir comment la chose est effrayante : sans identité bien claire, le jeune lavallois s'en est emprunté une, blanche et violente comme dans la représentation du monde à laquelle il était constamment exposé, et a mimé ce qu'il avait vu.
Je sais ce que c'est que de grandir à Laval, une ville en construction d'identité comme le Canada est en « nation building ». C'est pour cela que la Gaspésie de mon père et le Ville-Émard de ma mère ont pris leur importance dans la construction de ma propre identité. On ne peut pas être « Canadien d'origine canadienne » sans danger de devenir une coquille vide, un consommateur d'images creuses.
Je ne sais rien des parents de ce jeune homme, mais je ne crois pas qu'ils aient pu transmettre à leur fils une culture se rattachant à la réalité ambiante. Peut-être ont-ils, comme d'autres parvenus d'origines moins lointaines qui peuplent ces banlieues, renié eux-mêmes ce qu'ils étaient pour devenir rapidement conforme à l'image que l'on veut imposer du « Canadien d'origine canadienne ».
Et nous? Qu'est-ce qui nous attend si nous continuons de nous nier nous-mêmes devant les enfants?
Sylvain Deschênes
_ deschenes.sylvain@videotron.ca


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