Dans les médias de masse, il n'y a qu'un chroniqueur régulier en environnement au Québec. Fameuse niche que Louis-Gilles Francoeur du Devoir exploite tranquillement comme une bonne petite affaire en posant au connaisseur éclairé. Le monsieur a beau jeu : ceux qui s'opposent aux écolos ne le lisent pas, alors que les autres ne font que commencer la lecture de ses soporifiques articles en « faisant semblant que c'est intéressant ».
La stratégie de Louis-Gilles Francoeur ressemble à celle de Jacques Languirand et d'autres faiseurs de ronds de jambe du sérail fédéraliste des médias. Il s'agit d'évoquer des idées sans les approfondir, un peu à la manière des magazines où le contenu des articles se résume à leur titre. Pour la méthode, elle consiste à citer des études, rapports et autres mémoires ennuyeux dans leur jargon le plus obscur. Si Languirand préfère lancer un grand rire ou croquer dans une pomme, Francoeur, lui, savoure ses pipes en souriant comme Claude Morin dans le brouillard qu'il affectionne.
Admirer le style, tel que reproduit dans le Devoir du 10 octobre 2002, à propos de la température de l'hiver à venir :
« En effet, selon Lucie Vincent, mathématicienne au service de climatologie de cet organisme, les températures devraient se situer entre un et deux degrés centigrades sous la normale saisonnière, ce qui est... plus froid que l'hiver dernier. Celui-là s'était en effet retrouvé à quelque cinq degrés sous la normale, une température moyenne qu'on a peu de chances d'atteindre au cours des prochains mois. »
Comme disait mon oncle résumant les propos d'un économiste : « plus tu pédales moins vite, moins tu vas plus vite »!
La confusion, dans cet exemple, ne vient pas simplement du mot « froid » qui a remplacé « chaud ». C'est le style qui permet qu'une simple inexactitude brouille entièrement le message. Devant les textes de Francoeur, il faut reconstruire complètement pour comprendre ou survoler pour prendre connaissance, comme lorsqu'on lit un titre de magazine.
La proposition de notre chroniqueur monopolistique, concernant Orford, pouvait donc se lire ainsi dans le Devoir du 2 et du 6 septembre dernier : « Orford: une coop pourrait remplacer le privé. La municipalité préfère une auberge familiale aux condos annoncés » et « Le mont Orford doit rester public. La MRC propose aussi de réduire de moitié la taille du projet immobilier ». Que de bonnes choses : doit rester public, coopératives, auberge familale... Le langage de ceux qui exploitent une niche dans le lucratif marché du bien-pensant.
Quand on lit attentivement, toutefois, le jupon dépasse grossièrement. Voici comment l'écolofédéraliste envisage de rendre la montagne conforme à ses valeurs :
« En 1998, à la suite d'une des premières grandes sagas environnementales, Hydro-Québec, les Amis de la vallée du Saint-Laurent et Micheline Beauchemin avaient convenu dans un contrat privé que la ligne à haute tension Radisson-Nicolet-Des Cantons serait démolie avant le 31 décembre 1993 et remplacée par une ligne sous-fluviale. Les adversaires du projet des deux côtés du fleuve ne se satisfaisaient pas d'un décret gouvernemental que le conseil des ministres pouvait facilement modifier. On raconte que c'est l'ancien premier ministre du Canada Pierre Elliott Trudeau qui avait suggéré à son amie, Micheline Beauchemin, de sceller par un contrat privé l'entente intervenue à propos de la ligne sous-fluviale, ce qui enlevait toute initiative à Québec et à sa société d'État et la transférait, sur le plan décisionnel, à la Cour supérieure. »
C'est que, dans le monde de Francoeur, c'est de l'État du Québec qu'il faut se protéger. « Sceller par un contrat privé » des ententes en environnement permet d'échapper à son contrôle pour se retrouver entre les mains des juges de la Cour supérieure. Avec lesquels on est tellement bien protégés. Des juges et des maires libéraux pour décider en privé de la chose publique.
Mais voyez comme ils sont raisonnables :
« Les maires de la MRC de Memphrémagog ont approuvé hier après-midi, sans amendement, une proposition visant à créer un «village piétonnier» de 750 unités d'hébergement au pied du mont Orford, qui occuperait environ 40 hectares (ha) plutôt que les 130 ha du projet de 1400 unités soumis en audiences publiques par les gestionnaires actuels de la station de ski, en 2004. »
Juste un bon morceau de gâteau. Mais Francoeur présente encore mieux, un gâteau aux courgettes sans doute :
« Ce projet, divulgué samedi par Le Devoir, limiterait les constructions nouvelles à une auberge d'une cinquantaine d'unités «familiales» et à ses dépendances. » On se rapproche du paradis, non?
Pour compléter son papier, Francoeur, qui est, rappelons-le, le seul chroniqueur de média de masse à s'occuper constamment d'environnement, bouscule la coalition SOS-Orford pour qu'elle appuie la proposition de son maire Rodier :
« Au moment d'aller sous presse, la coalition SOS-Orford étudiait la proposition des maires et fera connaître son analyse complète plus tard cette semaine. [...] La porte-parole de la coalition, qui a piloté l'opposition à la privatisation, précise que son groupe aurait été plus enclin à appuyer le projet de coopérative familiale mis de l'avant par le maire d'Orford, Pierre Rodier. »
Pour ceux qui se rendent à la fin de l'article sans s'occuper outre mesure des sous-titres destinés à orienter la lecture, Francoeur finit par rendre compte, dans son style tout en nuances enchevêtrées pour nous perdre, du véritable point de vue de cette coalition :
« La coalition aurait pu tout autant appuyer, ajoute Mme Lacasse-Benoît, un projet d'auberge gouvernementale gérée par la Société des établissements de plein air du Québec (SÉPAQ), qui gère les actifs gouvernementaux des parcs et réserves fauniques et assure leur rentabilité. »
Elle « aurait pu » est ici une sorte d'euphémisme. On devine très bien que c'est ce que SOS-Orford réclame; que l'État du Québec gère ses parcs sans jamais les aliéner. Même pas aux « petits » entrepreneurs municipaux. C'est tout simple, mais ce l'est un peu trop pour un négateur des droits de l'État du Québec.
Dans d'autres circonstances, Francoeur s'empare de dossiers produits par d'autres pour les encadrer dans sa grille où le fédéral, comme tout bon papa, a raison. Publié par L'Action nationale dans son dossier de juin, le rapport de Pierre-Paul Sénéchal sur le projet Rabaska de port méthanier de Lévis, devenait exclusivement, dans son article du mois de juillet, le rapport d'un groupe technique remis au ministre fédéral des transports.
C'est ainsi que, comme lorsqu'il parle de protéger la Rupert, Francoeur arrange les choses pour qu'on comprenne que c'est le Grand Manitou d'Ottawa qui, seul, peut agir pour la protection de notre Mère la Terre... La Gaïa de Jacques Languirand, en fait. Ah! Ah! Ah!
Sylvain Deschênes
_ deschenes.sylvain@videotron.ca
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