On a beau être en 2017 et s’égosiller collectivement sur la «laïcité de l’État», voilà qu’une énième histoire de crucifix catholique fait l’actualité.
Cette fois-ci, il s’agit d’un crucifix retiré des murs de l’hôpital Saint-Sacrement à Québec par sa direction. Et ce, après une plainte seulement.
Et voilà que les uns appellent à la préservation inconditionnelle de ce présumé «patrimoine» du grand «nous» québécois pendant que d’autres réclament à hauts cris qu’on les retire tous, où qu’ils soient, au nom d’une «laïcité» tout aussi «à la française» que fantasmée.
Le pire étant tout de même ces menaces – oui, des menaces sous enquête policière -, dont la direction de l’hôpital aurait été l’objet.
Sans oublier, il va sans dire, le déchirage prévisible de chemises dans certaines radios de Québec et une pétition comptant déjà plus de 10 000 signatures en protestation de la décision de l’hôpital.
On souhaiterait franchement voir autant de gens se mobiliser aussi fortement et aussi rapidement lorsque le couperet du gouvernement s’abat sur les services publics et les plus vulnérables... Mais bon, ça, c'est une autre histoire.
Or, ce qui relève d’un hôpital relève d’un hôpital. La décision de retirer ou non un symbole religieux appartient à sa direction. Et à sa direction cependant d’en assumer pleinement le débat qui s’en suit dans l’espace public.
En dernière heure, TVA rapporte d'ailleurs que ce crucifix serait réinstallé éventuellement à l'hôpital.
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Personnellement, de voir un crucifix dans un hôpital autrefois associé au clergé catholique ne me choque aucunement. Ne plus le voir ne me choquerait pas plus. Tout comme de voir une femme médecin porter le hijab ou un médecin portant une kippa ou un turban sikh ne me choque pas non plus.
Ce à quoi je m’attarde dans un hôpital est l’accessibilité et la qualité des soins – ou leur absence lorsque c'est le cas -, et non pas à ce qui pend sur ses murs ou la petite croix, le hijab, la kippa ou le turban que peuvent porter quelques rares membres du personnel médical.
Dans la grande région montréalaise, comme ailleurs au Québec, il existe d’ailleurs plusieurs hôpitaux fondés par des congrégations religieuses catholiques.
Depuis la Révolution tranquille, ces institutions devenues publiques ont été déconfessionnalisées, mais on y a conservé quelques symboles religieux, dont quelques crucifix ici et là.
À ma connaissance, alors que nous vivons dans une ville pluriethnique et multiconfessionnelle, personne ne semble s’en offusquer.
Et si ce crucifix controversé de l'hôpital Saint-Sacrement était plutôt l'arbre qui cache la forêt? Et si ce seul symbole religieux sur un mur d'hôpital empêchait de voir là où le véritable problème loge sur le plan politique?
Sur le plan politique et social, là où le bât blesse en effet au Québec est dans le département bien spécifique d’UN crucifix. Soit celui qui trône au Salon bleu de l’Assemblée nationale. Là où les élus du peuple débattent et gouvernent.
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Duplessis et le clergé
Entre vous et moi, voulez-vous bien me dire ce qu’un crucifix fait encore en 2017 au-dessus de la tête du président de l’Assemblée nationale?
Mon hypothèse : trop d’élus, sans y tenir pour vrai, s’y accrochent néanmoins par crainte de perdre des votes dans certains segments plus conservateurs de l’électorat francophone s'ils approuvaient son retrait.
Mais ce n’est qu’une hypothèse...
Or, ce crucifix, installé en 1936 par le nouveau premier ministre de l'époque et chef de l’Union nationale, Maurice Duplessis, visait aussi à symboliser son alliance hautement électoraliste avec le haut-clergé catholique.
Un haut-clergé empressé lui-même de «convaincre» les Canadiens-français catholiques de voter «bleu» ou Union nationale au lieu de voter «rouge» ou libéral. Comme on disait jadis, «l’enfer est rouge et le ciel est bleu»...
Pour un historique plus détaillé de ce crucifix, voir ici et ici.
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Une question de cohérence et de crédibilité
En fait, tant et aussi longtemps que le crucifix de Duplessis trônera en plein Salon bleu de l’Assemblée nationale, aucun gouvernement, quel qu’il soit, n’a ou n’aura la moindre crédibilité dès qu’il évoque ou évoquera des sujets aussi sensibles de politiques publiques que la «laïcité» et la «neutralité religieuse de l’État».
Ce matin, le premier ministre Couillard se portait d'ailleurs lui-même à la défense de la présence du crucifix à l’Assemblée nationale sous prétexte qu’il ferait partie du «parcours historique» du Québec.
Or, un parlement n’est pas un hôpital.
Comme je l’écris depuis des années – et je suis loin d’être la seule à le penser et le dire au Québec -, il faut que ce crucifix soit déménagé dans un musée ou ailleurs au parlement comme élément clairement identifié de l’histoire du Québec. Point.
Même la commission Bouchard-Taylor le recommandait. Mais ça, on l'a oublié.
Ce crucifix doit sortir du Salon bleu. En d’autres termes, nos élus doivent cesser de confondre religion et affaires de l’État au centre même du foyer de la démocratie québécoise.
Ce qui veut dire, en tout respect pour ces deux élus que lorsque le ministre François Blais ou le député caquiste François Paradis se mêlent tous deux de souhaiter voir l’Hôpital Saint-Sacrement revenir sur sa décision, qu’ils commencent à réfléchir à relocaliser le crucifix du Salon bleu dans un endroit plus approprié.
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Le crucifix : symbole patrimonial ou religieux?
Lorsqu'on argue que ces crucifix ne sont plus «religieux», mais uniquement «patrimoniaux», ils devraient peut-être se rappeler cette sortie particulièrement sentie de l’Assemblée des évêques du Québec.
En 2013, en pleine tempête de la charte des valeurs, voici ce qu’en disaient les évêques du Québec.
Rappelant que le crucifix n’est pas un élément patrimonial, mais un symbole religieux de la foi catholique, Mgr Pierre Morrissette en disait ceci: «Si le gouvernement décide d'enlever le crucifix (de l'Assemblée nationale), les évêques ne feront pas de guerre».
Comme on le rapportait ici, selon les évêques, «c'est aux élus de prendre la décision, parce que ce sont des élus qui l'ont fait entrer à l'Assemblée nationale en 1936».
Mgr Noël Simard d’ajouter même à l’époque : «Le crucifix est bien plus qu'un objet patrimonial ou un symbole, le crucifix est l'expression d'une foi».
Et le reportage de préciser : «Si le crucifix doit rester, les évêques estiment qu'il faudrait alors travailler sur la revitalisation de cette foi. Sinon, autant s'en débarrasser.»
Difficile d’être plus clair.
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Bref, ces sujets commandent tout de même un minimum de cohérence.
Si l’État lui-même doit se déclarer un jour «neutre» en matière religieuse, avant de se préoccuper du port de signes religieux par une minorité de ses employés, la première chose à faire serait de s’assurer que le siège même de la démocratie québécoise, son parlement, soit exempt de symboles religieux, quel qu’ils soient.
Et pendant ce temps-là, laissons les hôpitaux s’occuper de leurs propres murs. Sinon, légiférons.
Et qui sait? Une fois le crucifix retiré du Salon bleu de l’Assemblée nationale, peut-être que les esprits de nos élus seraient enfin plus sereins et plus libres lorsqu’il sera question pour vrai de laïcité.
Comme quoi, on a toujours le droit de rêver...
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