Le 3 janvier 1973, la France abdique sa souveraineté monétaire, privant la Banque de France de ses prérogatives pour s’endetter auprès des marchés financiers. Résultat : quand autrefois notre Banque centrale prêtait à l’État à taux zéro, ce même État emprunte désormais à tour de bras, assurant ainsi une confortable rente à vie à des institutions financières internationales ; soit l’un des plus grands scandales de ces dernières décennies que même le pourtant fort prudent Michel Rocard a récemment dénoncé.
L’essayiste Pierre-Yves Rougeyron a enquêté sur ce sujet brûlant, sans sombrer dans la paranoïa ni le complotisme. « Il y a ceux qui traitent le sujet avec toute la complexité que nécessite un tel sujet, avec parfois des nuances notoires [...] et ceux qui, par idéologie, prétendent que les dettes sont soit d’apparition récente (depuis 1992) soit dues qu’au déficit public lui-même, dont un État impécunieux serait responsable. Ce que j’ai voulu démontrer, à l’aide de documents officiels et de témoignages de certains décideurs de l’époque, c’est qu’en réalité, il y a toute une histoire qui s’inscrit dans l’histoire et l’anthropologie des Banques centrales. Histoire qui se confond avec l’Union économique et monétaire (UEM), seconde étape du processus européen, après le Marché commun qui devait, par la finance et la monnaie, pousser à la fédéralisation politique. »
Il n’y a donc pas de complot à proprement parler, mais juste une conjoncture de rapports de forces, force vieillissante du modèle étatique, force émergente de ces marchés financiers dont le principe même consiste à se rire des frontières et des souverainetés nationales, empêcheuses de commercer en rond. Le tout sur fond de libre-échangisme mondialisé – la période Reagan/Thatcher ayant initié le détricottage du New Deal américain et du compromis social anglais – et tout se prêtait à ce changement de société. En effet, la dette est un choix, sachant qu’on parle d’économie de la dette et d’économie d’endettement.
Et l’auteur de poursuivre : « Il y a une convergence d’intérêts autour du projet européen. Les grandes entreprises voulaient déconnecter les luttes sociales en élargissant le marché, favoriser des économies d’échelle et multiplier les investissements à l’étranger pour contourner les limites environnementales et sociales de la société des années 1970. Le monde financier a voulu l’UEM pour favoriser une libéralisation des capitaux. Les grands rentiers ont voulu remettre la main sur la dette publique et empêcher l’inflation qui grignote la rente et ne favorise que le travail par l’indexation des revenus. Les hauts fonctionnaires furent, au nom de “l’Europe”, pénétrés d’une volonté de réformer la France malgré le peuple français et de refermer la parenthèse gaullienne. »
Pourquoi un tel acharnement à casser ce système qui, bon an mal an, ne fonctionnait pas si mal ? Pierre-Yves Rougeyron :Cette jeune génération de hauts fonctionnaires, en formation pendant la guerre, n’a pas connu la grande crise de 1929, peu connu la guerre et à peine la reconstruction ; leur carrière dépend déjà en grande partie de la dévotion à l’Europe qui fut l’une des grandes idées mobilisatrices de la collaboration et des hauts fonctionnaires de Vichy.
Pour les politiciens, outre l’anti-gaullisme et cet abandon par étapes de l’espérance française qui s’insinue dans l’élite française depuis l’anglomanie du XVIIIe siècle, ce fut la volonté de trouver un nouveau modèle de développement qui atteigne les taux de croissance des Trente Glorieuses additionné à une europhilie et une américanophilie amplifiées par le contexte de guerre froide, qui expliquent leur ralliement au projet.
Comme beaucoup des acteurs de l’époque me l’ont dit : “La France, c’est fini”.
Bande de branquignoles…
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