Il est toujours un peu gênant d’entendre glorifier un défunt qu’on s’était employé à noircir de son vivant, comme c’est régulièrement le cas en politique.
Encore mardi, lors d’un échange à l’Assemblée nationale sur le port de signes religieux, le premier ministre Philippe Couillard s’est réclamé de René Lévesque, alors que les libéraux avaient comparé la Charte de la langue française aux lois nazies lors de son adoption.
À l’inverse, les péquistes opposent régulièrement la mollesse de M. Couillard face à Ottawa à la prétendue fermeté de Robert Bourassa, dont ils ne cessaient de dénoncer l’aplaventrisme quand il était premier ministre.
Mercredi, le dévoilement par Le Journal de Montréal du « testament » de l’ancien ministre de l’Économie Jacques Daoust a eu pour effet de faire découvrir aux uns et aux autres les mérites d’un homme qu’on n’avait pas hésité à traîner dans la boue.
« Ce que j’apprends, moi, ce matin, dans le testament, c’est qu’il était opposé à la vente des actions d’Investissement Québec dans RONA », a déclaré Jean-François Lisée.
Le chef du PQ vient de l’apprendre ? Où diable était-il, à l’été 2016, quand M. Daoust s’époumonait à clamer son innocence ? « Jacques Daoust peut bien répéter à qui veut l’entendre qu’il n’a jamais autorisé cette transaction, mais nous ne sommes pas dupes […] Jacques Daoust a outrageusement et délibérément menti aux parlementaires », avait déclaré son vis-à-vis péquiste, Alain Therrien.
François Legault s’est dit « attristé » par le testament de M. Daoust et « choqué » par la réaction du premier ministre Couillard, mais la CAQ faisait aussi partie de ses détracteurs en 2016. « M. Daoust a menti aux journalistes, aux parlementaires et aux Québécois, il doit démissionner », avait lancé François Bonnardel.
M. Couillard accuse aujourd’hui les partis d’opposition d’avoir sali la réputation de M. Daoust, mais il avait lui-même laissé entendre que son ministre ne lui avait pas dit la vérité, justifiant ainsi son renvoi.
Dans son testament, l’ancien ministre estime clairement avoir été victime des manigances du bureau du premier ministre, plus précisément de son chef de cabinet, qui a voulu lui faire porter le chapeau pour une décision qu’il réprouvait. S’il avait accepté de mentir pour couvrir le méfait de son patron, il aurait conservé son poste, croit-il.
M. Daoust avait sans doute ses défauts, mais il n’était pas tombé de la dernière pluie. Il était peut-être un novice en politique, mais il était un vétéran de l’administration publique et connaissait parfaitement la ligne d’autorité au sein du gouvernement.
Si son propre chef de cabinet, Pierre Ouellet, s’est senti autorisé à donner le « OK » à Investissement Québec pour la vente de RONA, alors que lui-même s’y opposait, c’est qu’il avait consulté son véritable patron, c’est-à-dire le chef de cabinet du premier ministre, Jean-Louis Dufresne. Encore aujourd’hui, M. Couillard soutient que personne à son bureau n’était au courant de cette transaction, mais cela est tout simplement inconcevable.
Après la démission de M. Daoust, les libéraux se sont opposés à ce qu’il comparaisse devant la commission parlementaire convoquée pour tirer l’affaire au clair, tout comme ils ont refusé d’entendre Jean-Louis Dufresne, l’ancien patron de RONA, Robert Dutton, et l’ancien ministre des Finances, Raymond Bachand. De toute évidence, on trouvait que le chapeau faisait très bien à l’ancien ministre. La vente d’une entreprise aussi structurante n’en demeure pas moins une tache gênante sur le bilan économique du gouvernement.
En 2014, M. Couillard avait été très heureux de recruter un ancien président d’Investissement Québec pour compléter son trio économique, aux côtés de Carlos Leitão et de Martin Coiteux, mais la cote de M. Daoust avait rapidement baissé au bureau du premier ministre, où on jugeait que ce « banquier » ne faisait pas très moderne à l’heure de la nouvelle économie.
Un de ses fils a déclaré que « certains aimaient moins » son père et qu’ils ont fait en sorte d’avoir sa tête. C’est manifestement ce que pensait M. Daoust, qui attribuait sa disgrâce à son « indépendance intellectuelle et financière ».
Il est vrai que, derrière une solidarité de façade, il ne se gênait pas pour dire ce qu’il pensait de son gouvernement. En privé, il était très critique de ses politiques d’austérité, qualifiant volontiers d’« idéologue » son collègue du Conseil du trésor.
Après sa mutation aux Transports, sa position dans le dossier Uber a également déplu. Au conseil général de mai 2016, la Commission jeunesse avait présenté la multinationale de San Francisco comme la huitième merveille du monde.