Bernard Drainville a dû tourner sa langue sept fois avant de déclarer que la Commission des droits de la personne aurait été « sage » d’attendre la présentation d’un projet de loi en bonne et due forme avant de torpiller sa Charte des valeurs québécoises.
Pourquoi publier ces « commentaires » à ce stade-ci du débat alors que la Commission avait attendu les audiences en commission parlementaire pour exposer son point de vue sur le projet de loi 14 sur la langue, ou encore sur le projet 52 sur les soins de fin de vie, dans un « mémoire » présenté à cette occasion ?
Elle a justifié son intervention par « l’ampleur des enjeux », mais le choix du moment n’en est pas moins éminemment politique. Après avoir appelé à un débat ouvert, le gouvernement aurait été mal venu de lui en faire ouvertement le reproche, mais il n’en pense certainement pas moins.
La nomination du président de la Commission, Jacques Frémont, a été approuvée par l’Assemblée nationale en juin dernier. On ne peut donc pas le présenter comme l’homme de « l’ancien gouvernement », mais ses qualités de juriste et son expertise en matière de droits de la personne ne font pas de doute.
La première ministre Marois doit maintenant décider si elle veut se lancer en campagne électorale en s’appuyant sur un projet dont la seule évaluation juridique connue à ce jour conclut de façon catégorique à son incompatibilité avec la Charte québécoise des droits de la personne, et non pas avec « l’odieuse » charte imposée au Québec en 1982, même si l’affaire aboutira inévitablement devant la Cour suprême.
C’est nettement plus embarrassant que le flou soigneusement entretenu jusqu’à maintenant, même si le refus systématique de rendre publics les avis des juristes consultés par le gouvernement laissait déjà perplexe. Devant la perspective de « frapper un mur » devant les tribunaux, comme le prédit M. Frémont, le gouvernement devrait dire clairement s’il utiliserait la clause dérogatoire pour se soustraire à leur jugement. « Un geste grave », avertit la Commission.
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Et pourquoi pas ? Depuis 1982, les thuriféraires de la Charte canadienne des droits ont si bien réussi à diaboliser la clause « nonobstant » qu’on a oublié que cet acte de naissance du Canada moderne n’aurait jamais eu lieu si cette clause n’avait pas été incluse dans la Charte à l’insistance des provinces de l’Ouest et pour vaincre les réticences du Parlement britannique, comme Frédéric Bastien l’a raconté dans La bataille de Londres.
Dans l’épilogue de son livre, il rappelle que Pierre Elliott Trudeau lui-même n’aurait pas hésité à l’utiliser si la légalité de l’avortement avait été remise en question. « Nous réservons le droit de dire ceci : peu importe cette décision, peu importe l’interprétation de la Charte des droits par ce juge, la Chambre légifère de telle et telle manière sur la question de l’avortement », avait déclaré l’ancien premier ministre.
Dix-sept ans après le psychodrame de 1982, un de ses principaux acteurs, l’ancien premier ministre de l’Alberta, Peter Lougheed, déclarait dans une entrevue au National Post que le pouvoir politique ne devait pas avoir peur d’invoquer la clause dérogatoire « pour affirmer la préséance des élus sur des juges nommés ».
Il est vrai que Robert Bourassa a payé un prix politique pour avoir eu recours à la clause dérogatoire en 1989, afin de soustraire la loi 178 sur l’affichage commercial au jugement de la Cour suprême. La réaction avait été si négative dans le reste du pays que cela avait entraîné la mort de l’accord du lac Meech, mais la perspective de faire enrager le Canada anglais n’est certainement pas pour déplaire au PQ. Et puis, cela n’avait pas empêché M. Bourassa de faire élire 92 députés quelques mois plus tard. C’est même pour assurer sa réélection qu’il avait agi ainsi.
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La CAQ a voulu voir dans l’avis de la Commission des droits de la personne la preuve que le projet de Charte des valeurs québécoises va trop loin dans l’interdiction du port de signes religieux, mais la limitation plus restreinte proposée par la CAQ et même les timides recommandations de la commission Bouchard-Taylor, reprises par Québec solidaire, seraient jugées tout aussi illégales.
À en croire la Commission, les dispositions proposées par le gouvernement pour mieux encadrer les accommodements religieux, qui semblent faire consensus à l’Assemblée nationale et dans l’ensemble de la société québécoise, pourraient aussi être déclarées inconstitutionnelles.
On peut trouver que les propositions du gouvernement Marois vont trop loin et souhaiter un projet plus rassembleur, mais il y a sans doute une majorité de Québécois qui, si on leur posait la question, se diraient d’avis qu’il n’appartient pas aux juges de décider comment préserver leur identité.
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