Le débat sur le projet de charte des valeurs québécoises du gouvernement Marois n’est pas clos. Après son rejet par les électeurs, commence maintenant le procès de ses auteurs. Aujourd’hui, se retrouve au banc des accusés le ministre Bernard Drainville. Il a fait des erreurs, il est vrai, mais il ne les a pas toutes faites.
Ce qui est reproché au parrain du projet de loi 60 est de ne pas s’être appuyé sur des avis juridiques du ministère de la Justice pour s’assurer de la constitutionnalité de sa démarche. Après que le ministère eut confirmé qu’un tel avis n’avait pas été requis, la co-porte-parole de Québec solidaire Françoise David l’a accusé d’avoir menti aux Québécois. L’ex-ministre a répliqué. S’il n’a pas demandé un avis sur la constitutionnalité du projet de loi numéro 60, il a toutefois requis du ministère des avis ou opinions sur des points de droit comme l’égalité hommes-femmes et un avis externe au professeur Henri Brun.
Formellement, l’ex-ministre n’a pas menti, mais pour l’honnête citoyen qui a suivi attentivement le débat en commission parlementaire, la compréhension était que l’analyse juridique du projet de loi avait été faite et qu’il avait reçu le feu vert du comité de législation, comme cela vaut généralement pour tous les projets avant leur dépôt. On pouvait donc le croire lorsqu’il affirmait que la charte réussirait le test des tribunaux. Il mettait parfois un bémol, mais si petit que l’impression demeurait qu’il était en terrain solide.
S’il n’a pas menti, le ministre a pris néanmoins des libertés avec la vérité, de telle sorte qu’on peut lui reprocher d’avoir cherché à manipuler l’opinion publique. La question des avis juridiques est importante, car tout le débat autour de cette charte a porté sur un conflit de droits, dont ceux de la libre expression de ses convictions religieuses dans la mesure où serait interdit le port de signes religieux par les agents de l’État. Cette posture lui permettait de récuser des opinions juridiques fortes venant de la Commission des droits et libertés du Québec et du Barreau du Québec, mais qu’on abandonna en fin de campagne électorale avec l’admission de la première ministre qu’elle aurait recours à la clause dérogatoire pour se libérer des contraintes de la Charte canadienne des droits et libertés.
Ce que nous apprennent par ailleurs les suites de l’élection du 7 avril est l’absence d’unanimité au sein du gouvernement Marois autour du projet de charte des valeurs. Quelques ex-ministres ont fait état depuis de leurs réserves, qui étaient par ailleurs nombreuses chez les militants du PQ. La solidarité ministérielle a joué, ce dont il n’a pas lieu de se scandaliser. C’est la règle de base d’un gouvernement. C’est d’ailleurs à la même difficulté que se heurtera sans doute le gouvernement de Philippe Couillard, qui a promis d’adopter une loi sur la neutralité de l’État qui imposerait aux employés de celui-ci l’obligation de donner les services à visage découvert.
Or, selon le principe qu’il ne doit y avoir aucune exception aux droits, cette restriction pourrait subir un jour le test de tribunaux, qui pourraient la juger inconstitutionnelle. La décision de la Cour suprême de 2012 dans R. c. N. S. n’a-t-elle pas autorisé le témoignage en cour à visage couvert ? Les juristes du ministère de la Justice le rappelleront sûrement à la ministre Stéphanie Vallée qui, après les reproches adressés à Bernard Drainville, ne fera pas l’économie d’un avis juridique sur la constitutionnalité de la loi qu’elle prépare. Le gouvernement Couillard devra, le cas échéant, soit prendre le risque d’une contestation judiciaire de sa loi, voire recourir à la clause dérogatoire, soit se conformer à ses avis juridiques et adopter une loi ne posant aucune restriction aux droits et libertés. N’imaginons pas que le débat sur la laïcité est clos.
CHARTE DE LA LAÏCITÉ
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