Le gouvernement Legault a mis la ceinture et les bretelles autour de sa loi sur la laïcité pour la soustraire, une fois adoptée, au test des tribunaux.
Il a donc introduit la clause dérogatoire, dès le départ, applicable aux deux chartes québécoise et canadienne, pour éviter qu’elle ne soit charcutée par la Cour suprême. Un crime de lèse-majesté pour certains.
Pourtant, le recours à la clause dérogatoire n’est ni illégal ni illégitime. Elle a été utilisée par le gouvernement libéral de Robert Bourassa, en 1988, dans sa loi limitant l’utilisation de l’anglais dans l’affichage, ainsi que par d’autres gouvernements du reste du Canada.
Un « Accord de cuisine »
Ce sont d’ailleurs les provinces conservatrices hors Québec qui en avaient fait une condition essentielle à leur adhésion à la Charte canadienne des droits et libertés.
Rappelons les faits. En 1982, le premier ministre Pierre Elliott Trudeau décida de rapatrier notre Constitution coloniale du Parlement britannique, de façon unilatérale. S’engagea alors une querelle fédérale-provinciale qui aboutira devant la Cour suprême.
Il décida aussi d’y intégrer une Charte des droits et libertés, ce qui soulèvera la colère des gouvernements de différentes provinces. On l’accusera de vouloir instaurer un « gouvernement des juges » au détriment des gouvernements légitimement élus. C’est l’impasse.
Elles exigeront l’introduction d’une clause dérogatoire dans la Charte qui leur garantirait que le dernier mot en matière de législation reviendrait aux parlements, et non aux tribunaux.
C’est durant la fameuse « Nuit des longs couteaux » du 4 novembre 1981, quand le premier ministre René Lévesque et son équipe avaient été exclus des dernières négociations, que Jean Chrétien, alors ministre de la Justice, va concéder à ses homologues de l’Ontario et de la Saskatchewan d’inclure la clause dérogatoire dans la Charte.
Ces tractations de dernière minute ont eu lieu à Ottawa, dans la cuisine du Centre de conférence du gouvernement. On y référera aussi comme à l’« Accord de cuisine. »
Oui, la loi est attaquable
C’est ainsi que la clause dérogatoire s’est retrouvée à l’article 33 de la Charte canadienne des droits et libertés. Elle est valable pour « cinq ans après son entrée en vigueur » et peut être renouvelable.
C’est sur cette base que le projet de loi 21 se soustrait, dans son article 30, à l’application de certaines dispositions de la Charte canadienne, mais pas à toutes. D’où sa vulnérabilité.
Tel qu’il est rédigé, il est aisément attaquable en justice pour avoir dérogé à au moins deux principes inscrits dans la Charte, soit le multiculturalisme et l’égalité de garantie des droits pour les deux sexes.
C’est le sens de l’article 27 de la Charte, qui stipule que : « Toute interprétation de la présente charte doit concorder avec l’objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens ».
Quand on sait que la Cour suprême a érigé le multiculturalisme en « religion », la prudence la plus élémentaire commanderait qu’on mette le projet de loi 21 à l’abri d’une telle disposition.
Il en va de même pour l’article 28 de la Charte, qui édicte que « [...] les droits et libertés qui y sont mentionnés sont garantis également aux personnes des deux sexes ».
Or, l’interdiction des « signes religieux » affecte principalement les femmes musulmanes, notamment les enseignantes.
Pour ces deux motifs qui ne sont pas couverts par la clause dérogatoire, les tribunaux se feront un malin plaisir de tailler la loi sur la laïcité en pièces.
Si le gouvernement tient à l’interdiction des « signes religieux », il n’aura pas d’autre choix que d’amender son projet de loi en commission parlementaire lors de l’étude article par article, qui s’amorce cette semaine, pour éviter qu’il ne frappe son Waterloo.