Imaginons quelqu'un qui s'est enfermé dans un monastère durant un an pour se ressourcer, faire le point sur sa vie. Un an de silence sans journaux ni télévision. Cette personne dorénavant sereine revient à la civilisation québécoise cette semaine et reprend la lecture des journaux, ouvre son poste de télé à RDI durant la prestation grotesque des gens de Hérouxville. Cette personne ne se pose qu'une seule question: qu'est-ce qui a bien pu se passer durant son absence pour que le Québec soit menacé dorénavant de lapidation, pour que le Parti québécois veuille priver de certains droits cette vieille voisine italienne arrivée en 1940 et qui ne parle pas français, pour que les pages des journaux débordent d'articles alarmistes sur la menace à l'identité québécoise et sur la définition du «nous»? Que s'est-il passé, se demande cette personne, pour que renaissent les débats sur le crucifix et la prière avant les séances de conseil municipal et surtout pour entendre dire sérieusement que le passé catholique du Québec fait partie de ses valeurs identitaires?
Il ne s'est vraiment rien passé de fondamental et de grave, sinon quelques incidents montréalais désagréables et gérés de manière idiote, une fenêtre givrée par-ci, un foulard par-là, un cours prénatal interdit aux hommes, un sandwich au jambon dans la cafétéria d'un hôpital juif. Ce qui s'est passé vraiment, c'est l'irresponsabilité médiatique, le sondage sur le racisme de la pieuvre Quebecor, le Tout le monde en parle de Hérouxville, le populisme éhonté de Mario Dumont et la fâcheuse tendance que possède Jean Charest à refiler à d'autres la difficile tâche de trancher dans le vif quand c'est nécessaire. Comme quoi le battement d'ailes d'un papillon...
***
De ce grand fourre-tout émotif dans lequel le débat sur les accommodements a entraîné toute la société québécoise se dégagent des tendances lourdes chez les Québécois de souche qui se sont exprimés en région. Une de ces tendances a été admirablement résumée par la journaliste Rima Elkouri quand elle a écrit: «La laïcité, c'est pour les autres.» Le voile est offensant et dérangeant, les chansons des hassidim sont bruyantes, les petits kirpans, menaçants. Dans les religions des immigrants, les femmes sont dominées; elles ne sont pas comme chez nous les égales des hommes. Il faut donc interdire tout cela au nom des chartes et des valeurs de la société québécoise. Mais au nom de ces mêmes valeurs, le crucifix et la prière au conseil municipal ne semblent pas trop déranger.
Ce que sous-tend cette attitude paradoxale, c'est que pour beaucoup de Québécois, peuple catholique le moins pratiquant de l'Occident, c'est que «notre» religion est plus douce, plus civilisée, moins offensive que la religion des autres. Leurs religions sont archaïques, dépassées, cruelles, pour ne pas dire barbares. Pour nous, la religion et ses manifestations font partie de notre bagage culturel et de notre héritage historique; pour les autres, leur religion est répressive et constitue une barrière à l'affranchissement et à la modernité. Ce que nous disons, c'est que le christianisme est la meilleure des religions. Nous qui ne pratiquons plus voulons souvent que les autres ne pratiquent pas leur religion tel qu'ils en comprennent la pratique et les obligations.
Il faudrait peut-être rappeler à ceux qui brandissent les droits à l'égalité et à la non-discrimination que les femmes n'ont pas plus de place et de droits dans l'Église catholique que dans l'islam, que ces deux religions tiennent sur l'homosexualité des discours semblables et que le catholicisme, en interdisant aux femmes la contraception, a contribué à la propagation du sida dans les pays pauvres.
***
Ce qui est fascinant et troublant aussi c'est ce retour du catholicisme dans la panoplie des «valeurs» et des caractéristiques de l'identité québécoise. Le crucifix de l'Assemblée nationale fait certes partie de notre passé, mais il n'a pas sa place dans ce lieu laïque. Sa place est dans une église, ou un musée s'il représente une valeur patrimoniale par ses qualités artistiques.
Tout comme nous avons vécu en catholicisme longtemps, les Français ont vécu des siècles en monarchie. Dira-t-on que le système monarchique fait partie des caractéristiques identitaires des Français? Évidemment non. On dira que la monarchie fait partie du passé historique.
Les valeurs qui définissent le Québec d'aujourd'hui ne sont pas celles qui définissaient notre identité quand l'Église et Duplessis régnaient sur le Québec. Tout comme la Révolution de 1789 a donné une nouvelle identité aux Français, la Révolution tranquille a transformé l'identité québécoise.
L'identité dont on se réclame pour imposer la laïcité aux autres, c'est celle de l'égalité de tous et toutes, de l'équité, de l'existence d'une culture française originale et unique, d'une société ouverte et sans discrimination, teintée de progressisme et de tolérance. Voilà en gros comment on peut définir les «valeurs» québécoises. Ces valeurs n'ont rien à voir avec les valeurs historiques du catholicisme.
Le Québec est devenu cette société dans laquelle nous souhaitons intégrer harmonieusement les immigrants en grande partie en se libérant progressivement de ses valeurs catholiques, en rejetant le discours d'obéissance à l'autorité coloniale, de la servitude acceptée, de l'obéissance aux autorités, de l'infériorité de la femme, de la prédominance de la religion sur l'État. Le catholicisme ne fait pas partie de l'ADN identitaire québécois, il fait partie de son curriculum vitæ.
Collaborateur du Devoir
- Source
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé