La croissance des entreprises québécoises se conjugue en anglais

Langue de travail : Le français perd du terrain à mesure que les entreprises étendent leurs tentacules à l'extérieur du Québec.

Anglicisation du Québec



Pierre Théroux - Au conseil d'administration de l'épicier Metro, les réunions se déroulent maintenant en anglais.
Car depuis l'aquisition de A&P Canada, à l'été 2005, le conseil compte un nouveau membre à qui la langue de Molière est peu familière : l'Américain Christian Haub, président du conseil et chef de la direction de The Great Atlantic & Pacific Tea Company, connue sous les initiales A&P, qui a cédé A&P Canada à Metro.
L'entente entre les deux entreprises autorisait la chaîne américaine à nommer des représentants au conseil d'administration de Metro, qui compte 13 autres membres, tous francophones.
Il n'y a pas que les hauts dirigeants de Metro qui se soient mis à l'anglais. "Il y a plus d'échanges en anglais qu'avant, note la porte-parole de Metro, Marie-Claude Bacon. Et les gestionnaires québécois qui font affaire avec des collègues ontariens travaillent forcément plus en anglais."
"Depuis 20 à 30 ans, il y a eu une prise en main de l'économie québécoise par les francophones, et ils ont réussi à développer des entreprises d'envergure. Ces entreprises sont devenues internationales, elles exportent davantage et font des acquisitions à l'extérieur du Québec. L'anglais gagne donc du terrain", constate Michel Nadeau, directeur général de l'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques (IGOPP).
Des assemblées en traduction simultanée
Ainsi, les dirigeants et les gestionnaires de Metro ne sont pas les seuls qui aient dû faire plus de place à l'anglais après que leur entreprise eut étendu ses tentacules à l'extérieur du Québec.
Il y a dix ans, Alimentation Couche-Tard établissait ses premières bases hors de la province en achetant C-Corp, propriétaire d'une cinquantaine de magasins Winks en Ontario et en Alberta.
Aujourd'hui, le détaillant québécois exploite des milliers d'établissements au Canada et aux États-Unis. Dix de ses onze unités commer- ciales se trouvent à l'extérieur du Québec.
"Les rencontres entre dirigeants se déroulent en anglais. Et pour tous, dès qu'il y a des échanges avec l'extérieur du Québec, c'est aussi en anglais", souligne la porte-parole, Martine Coutu.
L'assemblée générale annuelle se déroule en français, les présentations visuelles sont bilingues et on offre la traduction simultanée.
Depuis l'an dernier, SSQ Groupe financier offre aussi des services de traduction simultanée à ses délégués de l'extérieur du Québec qui assistent à l'assemblée générale annuelle. Là encore, "les gestionnaires et les employés qui font affaire avec le bureau de Toronto le font en anglais", dit Élaine Dumais, directrice des communications institutionnelles.
Des administrateurs étrangers dans la plupart des entreprises
Ces dernières années, les Metro, Couche-Tard, SSQ, Rona, Desjardins et autres grandes sociétés québécoises ont fait leur nid dans le reste du Canada, aux États-Unis ou ailleurs dans le monde. Avec pour conséquence l'usage grandissant de l'anglais dans les réunions, discussions et échanges épistolaires entre les dirigeants et parmi les autres employés.
Par ailleurs, la prise de contrôle d'entreprises québécoises par des sociétés étrangères ou des fonds d'investissement comme Bain Capital et Kohlberg Kravis Roberts & Co. (KKR) ont aussi changé la donne.
Près des deux tiers des 50 plus importantes entreprises au Québec comptent au moins un administrateur non résident, indique une récente étude sur les tendances dans l'organisation et la rémunération des conseils d'administration publiée par la firme Spencer Stuart et l'IGOPP. La majorité (75 %) de ces administrateurs internationaux viennent des États-Unis et d'Europe.
La progression de l'anglais est parfois mal reçue
"La présence de membres étrangers impose soit l'anglais, soit des services de traduction simultanée", dit Robert Nadeau, consultant chez Spencer Stuart.
En 2002, le président de Nasdaq International, John T. Wall, se joignait au conseil d'administration de la Caisse de dépôt et placement du Québec.
Cette nomination, imposée par le Conseil des ministres, a forcé la mise en place de la traduction simultanée des échanges et de la traduction des documents.
Dans certaines entreprises, cette progression de l'anglais est mal reçue. Globalement, le français au travail a gagné du terrain, apprenait-on récemment. Mais des employés d'ici voient d'un mauvais oeil qu'il incombe encore aux francophones de faire des efforts pour communiquer avec leurs collègues anglophones.
Et d'être forcés de parler anglais lorsqu'une seule personne du groupe ne parle pas le français.
pierre.theroux@transcontinental.ca


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