Alors que des juges nommés par Ottawa s’apprêtent vraisemblablement à charcuter la loi 21 portant sur la laïcité, loi obtenue de haute lutte après plus d’une décennie de débats acrimonieux, il est bon de se remémorer ce qui est arrivé à une autre loi fondamentale qui ne faisait pas l’affaire d’Ottawa.
J’ai nommé la Charte de la langue française bien sûr.
Pour cela il faut relire La Charte de la langue française : ce qu’il reste de la loi 101 quarante ans après son adoption, l’œuvre magistrale de l’avocat Éric Poirier.
Guy Rocher signe la préface de ce livre dont la lecture devrait être obligatoire. Dans sa préface, il nous en fait le résumé suivant:
« Les espoirs que le législateur de 1977 et une large partie de la population québécoise avaient mis dans cette Charte de la langue française n’ont cessé d’être frustrés, et cela principalement par une succession de trop nombreuses décisions des tribunaux défavorables à l’application de cette Charte.
Pourquoi en a-t-il été ainsi? […]
Sa réponse à cette question est claire et limpide : les tribunaux qui ont restreint l’application de la Loi 101 l’ont fait parce qu’ils ont choisi de respecter la cohésion, la cohérence, l’unité du système juridique canadien et québécois dans son ensemble […]
La conséquence de cette conception du rôle des juges est importante : les tribunaux ne se sentent pas liés par l’intention qu’avait le législateur lorsqu’il a écrit et promulgué la loi. On peut même dire, démontre Poirier, que s’il arrive à un juge d’en tenir compte, il dévie du principe, il porte atteinte à l’intégrité du système juridique. Sa décision est « mauvaise » juridiquement parlant.
Cela pose un grave problème pour la démocratie. Il y a affrontement entre l’intégrité du droit et le pouvoir de l’Assemblée nationale. La cohésion juridique passe avant la volonté du peuple. Le Gouvernement fait des lois au nom du peuple, mais des juges non élus vont les évaluer et décider de leur application au nom de principes qui n’ont rien à voir avec les objectifs qu’avaient les concepteurs de la Loi. Le pouvoir de l’État est sacrifié sur l’autel de l’intégrité interne du droit. »
Voilà qui est clair.
Mais le problème que cela pose pour la démocratie dans le cas de la loi 21 est encore plus grave qu’indiqué plus haut. En effet, les juges de la Cour d’appel du Québec sont nommés par la gouverneure-générale, représentante de la reine d’Angleterre, après proposition par Ottawa. On sait depuis la Commission Bastarache que les juges au Québec sont nommés selon leurs affinités politiques. Il n’y a aucune raison de croire que les choses se passent différemment à Ottawa.
De plus, la loi 21 sera invalidée, en tout ou en partie, à l’aide d’une Charte des droits provenant d’une constitution que nous n’avons jamais signée. Une constitution qui est illégitime.
L’invalidation prévisible de la loi 21 sera donc, comme le rapatriement de la constitution en 1982, légal, mais profondément illégitime.
La récusation de la juge en chef ne changera rien à l’affaire.
Pour en savoir plus sur cette interprétation, nous vous suggérons la lecture de l’entrevue qu’Éric Poirier a accordée à l’aut’journal, lors de la parution de son livre. Cliquez ici.