L’immigration francophone ne sauvera pas le français

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La stérilité de la CAQ consacre la métropole comme foyer d’anglicisation

Un peu plus d’un mois après une élection où M. Legault a affirmé qu’il serait « un peu suicidaire » d’accueillir plus de 50 000 immigrants par an tant qu’on n’aurait pas « stoppé » le déclin du français, l’on apprenait que me même M. Legault était maintenant « ouvert » à revoir à la hausse ces mêmes seuils d’immigration. Seule condition :  que ces immigrants supplémentaires soient francophones. « Suicide » il y a un mois et bonne idée aujourd’hui? Voilà qui est singulier.


Il y a un lien direct, évidemment, entre ce retournement de veste de M. Legault et l’annonce fédérale de la semaine passée du fait que le nouvel objectif migratoire du Canada serait maintenant de 500 000 immigrants par an à partir de 2024. Annonce qui arrive presque sur les talons de la précédente (de février dernier) qui haussait déjà l’objectif à 451 000/an. Ottawa monte donc les seuils de 50 000/an à chaque six mois environ. Sans aucune consultation. Voilà un « fédéralisme » qui n’a plus grand-chose à voir avec le fédéralisme.


Pour se soumettre à Ottawa tout en faisant semblant de sauver la face, « l’astuce » de M. Legault est d’affirmer qu’il « pourrait y avoir une augmentation du nombre d’immigrants permanents », mais seulement s’ils sont « francophones ». Notons que cette notion de « francophones » n’est malheureusement pas définie. Parle-t-on de la langue maternelle, de la langue parlée le plus souvent à la maison ou d’une simple connaissance du français?


Dans le même texte, on apprend toutefois que l’idée « d’imposer une obligation de connaitre le français » avant l’arrivée au Québec est écartée d’emblée. L’idée ne plairait pas au « milieu des affaires ». Le milieu des affaires, on le sait, réclame aussi, comme Ottawa, des hausses majeures des seuils d’immigration. « Plus c’est mieux » résume à peu près toute la pensée du Conseil du patronat et du Président de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain sur cette question. L’on comprend donc que l’obligation de connaitre le français ne s’appliquera que pour une catégorie d’immigrants représentant l’excédent dépassant le 50 000 annuel qui constitue maintenant un plancher minimal. Un « minimum », rappelons-le, qui dépasse du double le volume d’immigrants accueilli, par exemple, aux États-Unis. Rappelons qu’il est bien démontré que l’immigration de masse n’a pas d’effets significatifs sur la hausse du niveau de vie, sur le vieillissement de la population et ne règle en rien les pénuries de main-d’œuvre.


Curieusement, l’article de Radio-Canada semble justifier la volte-face de M. Legault ainsi : « l’équipe de François Legault aurait pris conscience de l’urgence de protéger la langue française en attirant ainsi plus d’immigrants francophones de manière durable au Québec ». Les conseillers de M. Legault auraient donc eu une salutaire révélation il y a peu et compris « l’urgence » de protéger la langue française au Québec. Cette protection du français, comprend-t-on, passerait par une hausse de l’immigration « francophone ».


Cette même équipe n’est pas très attentive aux travaux de l’Office québécois de la langue française qui publiait en mars 2021 des études de projection démolinguistiques explorant précisément l’effet de sélectionner une immigration économique 100% francophone (précisément la mesure écartée par M. Legault et une mesure certainement plus costaude que celle s’appliquant seulement sur la portion de l’immigration dépassant les 50 000 immigrants/an).


Dans ces simulations, à l’horizon 2036, le français décline en tant que langue maternelle, la langue parlée à la maison, ou la « première langue officielle parlée » dans tous les scénarios, y compris celui qui impose une immigration économique 100% francophone (selon la connaissance du français ou provenant de pays francophones). La figure 1 montre l’effet des divers scénarios sur la langue parlée le plus souvent à la maison (source p. 28). La sélection de plus de francophones dans la catégorie économique n’a pour effet que de freiner légèrement le déclin du français et nullement de le « stopper ».



Figure 1


Pourquoi ce déclin malgré une immigration 100% francophone?


La raison majeure, l’éléphant dans la pièce, est que l’anglais jouit au Québec d’une vitalité supérieure à celle du français.


Le milieu de vie, à Montréal, est anglicisant. Les immigrants allophones déjà présents au Québec effectuent donc en surnombre des transferts linguistiques vers l’anglais (43,3% en 2021), ce qui augmente la taille de la communauté anglophone, constituée aujourd’hui non plus des descendants des conquérants britanniques, mais d’une majorité d’allophones anglicisés.


Et un facteur supplémentaire de déclin s’est rajouté au recensement 2021, soit l’essor de l’assimilation des francophones. L’anglicisation nette des francophones au Québec a progressé nettement sur la période 2016-2021 et atteint 37 000 individus en 2021. Comme l’écrit Charles Castonguay : « L’anglicisation du Québec est désormais bien en marche. En raison notamment d’une accélération de l’anglicisation des Québécois francophones eux-mêmes ».


Cette anglicisation est causée, entre autres, par la politique du libre-choix de la langue d’enseignement au collégial et à l’université que continue de défendre, malgré l’évidence et le bon sens, M. Legault et son équipe (pas plus tard que le 22 septembre dernier par exemple). Une politique « suicidaire », le qualificatif me semble approprié.


L’immigration francophone ne sauvera pas le français.


Pour ce faire, il faudra plutôt casser la dynamique linguistique favorable à l’anglais qui gagne en force au Québec. Et stopper l’anglicisation croissante des jeunes francophones. Ce qui suppose, au minimum, la loi 101 au cégep et à l’université. Qui sont précisément les mesures rejetées par M. Legault et son équipe.