En qualifiant les gouvernements de coalition de «broche à foin», le premier ministre Harper a fait une «bourde diplomatique»! Il a oublié que la présence de ministres de plusieurs partis au sein du pouvoir exécutif est fréquente, systématique dans plusieurs pays.
Le premier gouvernement allemand d'Angela Merkel, en place de 2005 à 2009, était composé autant de ministres de gauche que de droite. Et encore aujourd'hui, comme depuis plus de 50 ans, le cabinet allemand compte des représentants de plus d'un parti.
En Australie, quand les travaillistes ne sont pas au pouvoir, c'est une coalition qui gouverne le pays. En Suisse, en Autriche, aux Pays-Bas ou en Italie, c'est la norme. Lorsqu'il rencontrera à nouveau son homologue anglais, le premier ministre Harper devra éviter de se moquer des coalitions, puisque les conservateurs ont pris le pouvoir précisément grâce à une coalition.
Un gouvernement formé de plusieurs partis devient «normal» lorsque, scrutin après scrutin, aucun des partis n'obtient une majorité absolue de sièges au parlement. Les négociations au niveau gouvernemental facilitent les votes au parlement. Évidemment, un gouvernement de coalition est plus complexe à diriger; les négociations sont nombreuses et les compromis incontournables. Il n'y a pas un seul chef qui a «les mains sur le volant».
Cependant, plusieurs études montrent qu'ils ne sont pas moins efficaces, tant législativement que budgétairement. On retrouve évidemment des exceptions: la Belgique en est le triste exemple. Inversement, l'État d'Israël - dirigé par des coalitions depuis sa naissance - montre éloquemment que ce type de gouvernement peut être efficace, même dans un environnement difficile.
Depuis janvier dernier, le président Obama doit aussi composer avec ses adversaires pour faire passer ses lois et ses budgets. Sauf pendant deux ans, le président Clinton a dû négocier avec un Congrès hostile. En France, les présidents Mitterrand et Chirac ont vécu des situations analogues à travers les multiples cohabitations. Selon les régimes politiques, le partage du pouvoir entre des partis concurrents prend évidemment des formes différentes, mais son application n'a plus rien d'exceptionnel.
Les causes de cette tendance lourde sont nombreuses. Au Canada, comme dans bien d'autres pays, le bipartisme s'est fissuré. De 1867 jusqu'à l'élection de 1917, les tiers partis étaient quasi absents. Exception faite de l'élection de 1896, ils obtenaient moins de 1% des sièges. De l'élection de 1921 jusqu'à celle de 1988, ils obtenaient déjà bien plus: en moyenne 20% des suffrages et 14% des sièges.
Depuis 20 ans, la présence de partis régionalistes - le Reform ou le Bloc québécois - a rendu la formation de gouvernement majoritaire plus difficile. Au Royaume-Uni, des pressions régionalistes contribuent aussi à la fragmentation du parlement.
En Europe de l'Est et en Amérique latine, l'adoption de la représentation proportionnelle ou de scrutin mixte a évidemment favorisé une fragmentation des parlements et obligé les gouvernements à multiplier les interfaces de négociation pour faire passer leurs projets de loi.
Mais il y a plus?: les sociétés modernes - voire post-modernes - sont marquées par l'explosion d'intrants en matière de culture. Les populations ne sont plus aussi homogènes. La société civile - partie prenante des débats publics - s'exprime aujourd'hui d'une manière radicalement plurielle. Même la consommation s'est fortement segmentée. Quant aux médias, ils vivent une fragmentation rapide de leur auditoire.
Les transformations des parlements et des gouvernements font donc écho à des transformations sociétales fondamentales.
En somme, en qualifiant de «broche à foin» les gouvernements de coalition, le premier ministre Harper a non seulement «insulté» plusieurs de ses partenaires internationaux, mais il semble plus préoccupé de reproduire les modèles du passé que de relever les défis de l'avenir.
Quant au chef libéral, Michael Ignatieff, il a peut-être fermé la porte trop rapidement à une option qu'il a pourtant qualifiée de «légitime». En fait, si l'un s'en moque et si l'autre s'en méfie, c'est peut-être parce qu'ils estiment que l'opinion publique canadienne accepte mal de se «regarder dans le miroir» et de vivre les conséquences de son éclatement.
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Jean-Herman Guay
L'auteur est professeur de sciences politiques à l'École de politique appliquée de l'Université de Sherbrooke.
La bourde diplomatique de M. Harper
2 mai 2011 - Harper majoritaire
Jean-Herman Guay30 articles
L'auteur est professeur de sciences politiques à l'École de politique appliquée de l'Université de Sherbrooke.
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