Écrire est un engagement pour moi. J’incarne jusqu’à l’écriture et la non-écriture une certaine dialectique du refus propre à l’écrivain négatif telle qu’expliquée de façon extensive par Patrick Tillard dans l’essai De Bartleby aux écrivains négatifs. Une approche de la négation. Plus explicitement, je considère que quand nous écrivons une certaine prise de responsabilité accompagne notre prise de parole. En conséquent de quoi, je considère que la formule de www.vigile.net se prête à un tel type d’exercice. En effet, nous sommes une communauté de personnes qui écrivent pour développer divers thèmes reliés à la politique telle que vue sous la lorgnette de l’indépendance nationale du Québec.
Si je vous parle de l’essai de Patrick Tillard, c’est que j’ai centré deux de mes travaux de fin de session universitaire en études littéraires autour des idées qu’il a amenées. Parallèlement à ceci, je réfléchissais au genre de rétrospective dont j’aimerais vous faire part pour négocier le tournant 2011-12. Sans plus tarder, je passe à la prochaine référence-clé contenue dans mon titre : Fernando Pessoa et la référence-phare Le livre de l’intranquillité. D’une certaine manière, cette référence s’impose à quiconque veut étudier l’optique indépendantiste et recouvrir l’aspect davantage culturel des réalisations de nos écrivains et artistes.
Récemment encore, Richard Le Hir et Bernard Desgagné nous ont fait le plaisir de partager certaines préoccupations quant à une conception de guerre, l’évolution des choses au chapitre des relations internationales et l’importance de se conscientiser face à des dispositifs de discours qui font tache d’huile dans l’opinion publique. Pour ma part, fort de mes études de communication et politique en plus de mon engagement dans la contrée littéraire, j’estime important de vous faire connaître de temps à autre des écrivains, des poètes qui peuvent parfois influencer un certain stade de nos réflexions.
Ainsi, comme me l’observait ma copine un de ces jours, nous pouvons voir la référence du livre de l’intranquillité dans la troisième séquence qui clôt le triptyque contenu des films Déclin de l’empire américain et Invasions barbares, L’Âge des Ténèbres. Film moins remarqué que ses prédécesseurs, L’Âge des Ténèbres ne m’avait pas suscité un grand enthousiasme à l’époque. Il me faudrait néanmoins le revoir pour mieux comprendre ce que Denys Arcand voulait bien nous transmettre. Fait à noter, Pierre Curzi a participé aux trois films.
Comment aborder Fernando Pessoa sans passer par Le livre de l’intranquillité? Passage obligé ou convenu pour entreprendre l’œuvre, ce dernier livre détient l’une des clés pour percer les énigmes de l’œuvre pessoenne. Bernardo Soares est le semi-hétéronyme que Fernando Pessoa identifie comme celui qui lui ressemble au plus près de sa psyché intime. Nous devons cependant signaler que Fernando Pessoa fait preuve d’humour par ailleurs et que Bernardo Soares passe, pour nombre de commentateurs, comme le dépositaire du Fernando Pessoa dépressif.
Deux particularités ressortent de l’œuvre pessoenne. J’en identifie deux, puisqu’il y a une dualité irréductible dans son œuvre qui est par ailleurs protéiforme et multidimensionnelle. Au premier chef, les hétéronymes caractérisent sa démarche particulière qui recoupe les nombreux aspects qui forment les personnalités multiples qu’il a développées. La deuxième particularité, c’est la malle dans laquelle il a emmagasiné la vaste majorité de ses œuvres – il a si peu publié de son vivant et vécu dans un relatif anonymat, ce qui caractérise sa démarche d’écrivain négatif. Soit dit en passant, l’équivalent de malle ou coffre en portugais est «arca».
Dans une certaine mesure, Fernando Pessoa a consacré à la fois le triomphe et les paradoxes du multilinguisme. De son vivant, il aura publié un nombre limité d’œuvres et quelques extraits de textes, de poèmes et de chroniques dans diverses revues et publications. Il revendique un patriotisme portugais, assuma quelques expériences de deuil éprouvantes tout jeune et publia notamment des poèmes en anglais. Ayant vécu l’exil en raison d’un mariage en secondes noces de sa mère avec un ambassadeur portugais en Afrique du Sud, Fernando apprit le français et l’anglais très jeune.
Moulin à paroles… à images… dans un passé encore récent, nous avons vécu l’expérience de la disparition successive de deux chroniqueurs du défunt journal Ici, Nelly Arcan et Pierre Falardeau. La première fut une écrivaine accomplie qui s’inspira notamment d’Émile Nelligan, Réjean Ducharme et Hubert Aquin entre autres images prégnantes de la littérature québécoise. Elle revendiqua également d’une certaine image portugaise… nous pouvons supposer qu’elle fut inspirée par Fernando Pessoa.
Dans mon étude extensive du cas Pessoa, je suis parvenu à déblayer quelques pistes. Tout d’abord, pour quiconque suit le parcours de mes chroniques successives, je vous ai démontré un intérêt pour l’œuvre d’Hubert Aquin. Dans le prolongement de quelque Prochain épisode, la genèse du livre de l’intranquillité représente un cas de figure intéressant. Ici même au Québec, nous comptons sur le poète et essayiste Paul Chamberland qui pourrait recouper la quête laissée par Pessoa. Le plus proche demeure Hector de Saint-Denys Garneau qui a excellé dans l’art du journal littéraire en plus de la poésie. Nelly Arcan et Réjean Ducharme peuvent offrir en outre certaines clés.
L’année qui vient de se dérouler fut un faste de l’intranquillité. Nous pouvons certes remarquer une fresque de discours apocalyptique qui accompagne la prise de possession du discours des médias corporatifs. Fréquemment, nous avons eu à subir les assauts de diversion et de flots continus d’information-opium. La crise entretenue par les médias et «l’agenda-setting» dans l’optique de la trame mondiale et des luttes d’émancipation en général ont subi un haro. L’indignation ayant été portée à son comble, aura-t-elle été dégonflée telle une bulle immobilière? Cela reste à voir.
Au crépuscule de l’année qui vient de se dérouler, nous avons assisté à la fatigue d’un certain discours et la reprise d’un tourbillon irrésistible qui déplacera l’épicentre des agitations politiques. Pour le moment, les argentiers et les apôtres du statut-quo se font triomphants. Des ambitions guerrières s’échangent de part et d’autre. Le complexe militaro-industriel refait des siennes. Une guerre économique fut perdue. Des Goliaths devront finir par admettre la défaite. Militariser à outrance n’y changera rien, la paix devra survenir un jour.
Politiquement, le Québec semble perdre beaucoup de plumes. Il ne faut point se méprendre sur la branche ou l’arbre qui tombe, la végétation reprend un certain cycle. Le jour que j’appris la refondation du RIN, je restais sceptique face à la non-éventualité de la création d’un parti politique alternatif. En mon for intérieur, je redoutais que le statut-quo de la carte des partis PQ-PLQ-ADQ et même [ajoute-je] de QS allait suffire à l’ampleur du défi qui nous attend. Maintenant qu’Option Nationale est du paysage et que la CAQ caquette de plus belle avec une ADQ plus moribonde que jamais, je postule sur l’importance de réunir nos forces cohésives autour de l’idée centrale de l’indépendance du Québec.
Présentement, je déplore et abhorre l’effet d’une certaine partisanerie propre à l’appareillage et noyautage des partis politiques. Je dénonce un processus d’oligarchie des partis politiques, grands ou petits. Je crois à l’importance de nous doter d’un processus de lutte non-partisane au profit de la cause indépendantiste. Par nécessité, je dis qu’il nous est force de composer avec le paysage actuel et que nous devons tirer parti de la conjoncture et d’une certaine mise en commun des forces qui peuvent tirer la lutte vers le haut. Il nous faudra faire preuve d’abnégation et surtout de leadership collectif. Nous ne devons pas être regardants sur les efforts à accomplir. L’avenir du Québec en dépend et n’en tient qu’à nous.
En attendant de meilleurs auspices qui feront démentir les sphinx en nous, je vous laisse sur cette pensée de Pessoa pour envisager la reprise en force de cette année charnière, pas charnier, que sera 2012 :
«J’enregistre jour après jour, dans mon âme ignoble et profonde, les impressions qui forment la substance externe de ma conscience de moi-même. Je les mets dans des mots vagabonds qui me désertent sitôt écrits, et se mettent à errer, indépendamment de moi, par coteaux et prairies d’images, allées de concepts, sentiers de chimères. Tout cela ne me sert à rien, car rien ne me sert à rien. Mais je me sens soulagé en écrivant, comme un malade qui soudain respire mieux, sans que sa maladie ait cessé pour autant.» (p. 336)
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