«La vindicte de la politique»

Tribune libre

Depuis qu’il est survenu sur la scène politique, il aura tant fait parler de lui. Au mieux, il aura été conspué par ses adversaires idéologiques. Dans le pire des cas, nous espérons expurger la politique de toute profession/vocation honorable ou encore carrière au sein de l’establishment. Aux yeux de ce dernier, Daniel Breton aura commis l’impardonnable. Dans le cas de Pierre Karl Péladeau, plus communément connu PKP, nous voulons le démettre de ses actions dans le domaine des médias avant même qu’il foule le terrain de la chefferie d’un parti.

Qu’on me comprenne bien ici : nulle n’est mon intention de racheter les actes passés de PKP. Entre les appels à l’homme providentiel de Mathieu Bock-Côté et la posture idéologique intransigeante d’un Pierre-Luc Brisson quant à la séparation entre les médias et le domaine politique, il est possible de tracer un état des lieux. Qu’on se le dise, la motion proposée par la CAQ et soutenue par Québec solidaire avec la complicité intéressée du gouvernement achève de nous défaire des dernières illusions sur l’état de notre démocratie, au-delà des apparences vertueuses qu’on lui prête.

L’effort est colossal : notons seulement les précédents et les situations qui peuvent s’apparenter aux circonstances présentes. Au premier chef, certains ont avancé l’affaire Michaud. J’ai mentionné au passage Daniel Breton. Souvenons-nous de la clause Gabriel Nadeau-Dubois. Les turpitudes du gouvernement libéral les rattrapent lorsque vient le temps de mettre en application leurs principes éthiques pour le moins élastiques, pour ne pas dire flasques. Si les libéraux se livrent aux attaques partisanes sans la moindre vergogne, nous pouvons tout de même déplorer l’existence d’une ligne partisane au sein de tous les partis.

Rétrospectivement, dès le moment qu’une personnalité politique québécoise de premier plan résiste et échappe à l’emprise de quelque establishment que ce soit, elle est irréductiblement traînée dans la boue. Pensons seulement au cas d’Honoré Mercier qui a été dépouillé de ses pouvoirs en 1891 sous des allégations de scandale financier et d’une campagne de salissage à grande échelle. Il est d’ailleurs ironique de constater le traitement de Thomas Mulcair, son arrière-petit-fils, dans le cadre des envois de lettres aux électeurs.

Depuis le tournant des années 2000, la concentration de la propriété des entreprises de presse au Québec a de quoi nous préoccuper. Tant et aussi longtemps que nous ne baliserons pas de règles plus précises, un laissez-aller sera observé. Il faut toutefois accuser le prétexte selon lequel l’ordre établi s’arroge le droit d’ordonner au propriétaire québécois d’une entreprise de presse le devoir de se départir de ses actions sous prétexte qu’il porterait ombrage à l’espace d’indépendance qui doit exister entre les univers politique et médiatique.

Si seulement nous nous référions au passé, de nombreux journalistes se sont illustrés en politique. Il s’en trouve également beaucoup pour se plaindre de l’ombre persistante de Power Corporation sur les affaires politiques canadiennes. Dans le cas de la présente affaire, réfléchissons à qui profite le crime. Dans un monde tangible et concret, Pierre Karl Péladeau n’a aucun intérêt à se départir de ses actions de Québécor. Sa récente incursion dans le monde politique témoigne d’une volonté à investir un univers qui échappait au contrôle effectif de son conglomérat médiatique. Demandons-nous seulement au prix de quelles renonciations il pourra entreprendre une action plus prépondérante et décisive sur le cours de l’histoire.

Au cours des dernières années, l’engagement politique a été malmené. L’action du néolibéralisme galopant érode constamment le modèle des politiques publiques, du filet social et des institutions soutenant l’entrepreneuriat québécois mis en place au cours de la Révolution tranquille découlant des politiques de nature keynésiennes. Une intervention étatique peut être bénéfique à l’essor d’une économie nationale et aller dans le sens de la concorde d’une nation. PKP peut être pris à témoin. Un jour, les choses en viendront à changer et c’est à nous de forger les conceptions du modèle québécois.

En attendant, il faut prendre sur nous de résister. Pour le peu que nous contrôlons de notre destin politique, nous devons tracer des prolongements à cette même histoire en marche. Pierre-Luc Brisson parlait de Chateaubriand lorsqu’il évoquait l’exemple de Mathieu Bock-Côté. Un jour, Mathieu Bock-Côté fut expulsé du Bloc Québécois des jours du règne de Gilles Duceppe. Aujourd’hui même, ces deux derniers prennent fait et cause pour que Pierre Karl Péladeau soit élu chef du PQ.

De manière globale, Chateaubriand s’est opposé à Napoléon Bonaparte après l’exécution du duc d’Enghien. Plus près de nous, André Malraux a été un compagnon d’armes littéraire et politique auprès du Général De Gaulle. Cette dernière complicité fut indéfectible dans la mesure qu’André Malraux fut magnanime face à la conduite politique du président de la Ve République qu’il a servi. Imaginons ce qu’il surviendra des complicités quand nous les appliquons au contexte québécois.

Les dernières années furent instructives quant à une vindicte qui a purgé la nation québécoise d’excellents éléments en son sein sous prétexte d’une solidarité purement partisane. Quand nous pensons aux cas Michaud, Breton et Nadeau-Dubois, il faut prendre sur nous de reconnaître les forces en présence. Nous devons reconnaître que le traitement qui fut réservé aux députés de Québec solidaire témoignait d’un establishment agonisant sous l’effet des appels au changement social.

D’aucuns se trouvent à conspuer Jean-François Lisée sous prétexte qu’il soulevait des questionnements face à l’empire de Québécor. La plupart des commentateurs s’accordent pour le déconsidérer sur le plan de la valeur de son engagement politique. Sur ce même plan, nous devons questionner l’attitude de la CAQ et de Québec solidaire dans la position de principe à laquelle ils se rallient pour démettre PKP de ses pouvoirs privilégiés d’actionnaire majoritaire et décisionnel des destinées de Québécor. Il me semble qu’au-delà des questions partisanes, leur position de principe souffre d’une négligence d’observer les intérêts de la nation québécoise. Il faudrait en tenir compte dans nos analyses éventuelles.


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