Produit de la "réforme"

L'insipidité de nos manuels d'histoire au secondaire

Surtout rien de litigieux

Coalition pour l’histoire

Insipidité : Caractère de ce qui est insipide. Insipide : Qui n’a pas de saveur, de goût. Voilà. Nos manuels d’histoire au secondaire ne goûtent rien, ils manquent de saveur. Les auteurs racontent l’histoire de leur peuple avec autant de détachement et de froideur que s’ils décrivaient la pierre qu’il y a devant chez eux.
Extérieurement, ces manuels se présentent comme des Cadillac : papier glacé, couverture rigide cartonnée et plastifiée, riche iconographie, typographie soignée. C’est le texte qui fait problème. Non seulement il est neutre à l’excès, il passe sous silence des faits et des personnages du plus haut intérêt.
De quels manuels s’agit-il? L’histoire nationale se donne en 3e et en 4e secondaire. Les manuels qui semblent les plus utilisés sont : Fresques A et B en 3e et Le Québec, une histoire à construire en 4e. En passant, une trouvaille que ce dernier titre : comme si on pouvait construire une histoire en 4e secondaire! Vraiment, nos concepteurs de programme au ministère sont des génies!
Ces manuels sont des briques : de 240 à 419 pages chacun. On se dit : il doit y avoir de la matière là-dedans. Le hic, un hic, c’est qu’on a introduit à chaque chapitre ce qu’on désigne comme des « sections sur les sociétés de comparaison ». Ce sont des pages et des pages consacrées à la Virginie, aux îles Moluques, à l’Irlande, etc. Dans un cours d’histoire nationale, alors qu’il y a des cours d’histoire universelle en 1ère et 2e secondaire. Ces sections représentent de 10 à 25% de l’espace selon le livre. Ajoutons à cela des parties méthodologiques non négligeables et on en arrive à un contenu matière forcément restreint, qu’on s’empressera sans doute d’invoquer pour expliquer en partie les lacunes.
Voyons un peu ce contenu. Je n’ai pas de prétention à l’exhaustivité. J’ai une maîtrise en histoire mais je n’enseigne plus depuis plusieurs années. J’ai des contacts dans le monde scolaire grâce à un concours d’histoire que j’organise dans la région de Lanaudière depuis maintenant 23 ans.
Premier arrêt : la Nouvelle-France. Il y a eu les explorations, les établissements, la construction d’une économie et d’une société. Mais il y a eu aussi, surtout au XVIIe siècle, les guerres, principalement avec les Iroquois. C’est un élément important de la vie dans les débuts de la Nouvelle-France.
Or, assez étrangement, alors qu’autrefois ces guerres occupaient une place importante, peut-être trop importante, elles sont maintenant presque absentes des manuels. Ce qu’on en dit, en quelque 150 pages consacrées à la Nouvelle-France : « Ils [les Français en 1603] s’engagent à combattre les ennemis des Montagnais, soit la Ligue iroquoise (…). Les conflits armés avec les Iroquois vont se prolonger durant tout le XVIIe siècle. » (Fr. A, p.67); « En 1665, (…), le régiment Carignan-Salières (…) a pour mission de sécuriser la colonie en combattant les Iroquois. (…) Quatre nations iroquoises vont finalement proposer de faire la paix. Une seule nation, celle des Agniers, maintient l’état de guerre. Le militaires répliquent en attaquant son territoire et en détruisant ses habitations et ses récoltes. » (p.84) Ce sont qui les méchants d’après ce résumé?
Il n’est évidemment pas question de Dollard des Ormeaux et de ses compagnons ni de leur sacrifice qui a fort probablement sauvé la colonie en 1660. Comme il n’a précédemment été fait aucune mention des aménités prodiguées aux missionnaires appelés saints Martyrs canadiens qui étaient, pour tout dire, des êtres très menaçants.
Je concède que les Français n’étaient pas des enfants d’école à la guerre et que les tactiques de leurs chefs n’étaient pas toujours hors de tout reproche, comme dans le cas des négociateurs iroquois enlevés et envoyés aux galères. Mais le massacre de Lachine en 1689 (24 morts et 80 prisonniers qui, la plupart, ne reviendront jamais) et les multiples attaques iroquoises de cette période qui feront près de 200 morts dans une population de quelques milliers de personnes devraient être rapportés dans des livres d’histoire sérieux. Ce qu’on en dit : « Cette situation [de conflit entre Français et Iroquois dans les années 1680 et 1690] entraîne des affrontements. » (p.90) Heureusement qu’on nous le dit mais peut-être ne serait-il pas inutile d’élaborer? Encore faudrait-il évacuer un diffus sentiment de culpabilité.
Jean Talon n’est quand même pas n’importe qui. C’est un homme remarquable qui a imprimé sa marque sur le développement de la colonie. Voici comment on le présente : « Colbert nomme aussi un intendant pour soutenir l’essor de la colonie : Jean Talon. » (p.84) Fret, net, sec. On va ensuite mentionner quelques-unes de ses réalisations, très posément. Une appréciation globale positive du personnage? Cherchez-la. Il faut surtout éviter le culte du héros.
Idem dans le cas de d’Iberville d’ailleurs. D’Iberville, pour nos auteurs, mérite une petit portrait dans un encadré de quelques lignes à l’écart du texte principal. La dimension extraordinaire de ce personnage, qui serait présenté avec admiration dans n’importe qu’elle histoire nationale, est ici complètement gommée. Surtout pas d’éclat dans un manuel scolaire. Gardons cela pour Paul McCartney, Madonna et Kiss dans les chroniques spectacles.
La guerre de la Conquête est un autre sujet à aborder délicatement pour nos auteurs. Délicatement et avec discrétion. En ce qui concerne le déroulement de la guerre, nous aurons ceci : « Au cours des deux premières années de la guerre de Sept Ans, les Français remportent plusieurs victoires. Cependant, la situation se transforme en 1758 quand les Britanniques prennent Louisbourg. » (p.102) Les brillantes victoires françaises de la Monongahéla,, d’Oswego, de William-Henry, de Carillon ne sont nommément pas citées, ni encore moins décrites, ne serait-ce qu’en quelques mots. On a beau ne pas être partisan des guerres ni féru d’histoire militaire, ce sont des faits passés, des actes de bravoure dont pourraient s’enorgueillir les descendants que nous sommes. Mais attention, défense d’être fier dans cette histoire!
Défense aussi de s’indigner devant le spectacle de la déportation des Acadiens, résumée de cette façon : « Les autorités britanniques ordonnent la déportation des Acadiens. Deux raisons les motivent. D’abord, les Britanniques craignent que les Acadiens se rangent dans le camp français (…). Ensuite, les autorités veulent favoriser l’immigration britannique dans leur colonie de Nouvelle-Écosse. Sur une population totale d’environ 13 000 Acadiens, on estime que 10 000 environ sont déportés (…). (p. 102) Sobriété poussée à l’excès. Plus que cela, on justifie presque l’opération au lieu d’en montrer le côté sordide.
Passons aux effets de la Conquête. Il est bien question du départ de plus du tiers de la noblesse et de l’élimination des marchands locaux du commerce des fourrures. Mais il ne faut pas chercher ici de jugement sur les effets déstructurants de la Conquête sur la société québécoise d’alors. On est loin ici de Maurice Séguin et de Michel Brunet. Allo Létourneau!
Nous voilà au XIXe siècle. « Adam Thom, rédacteur en chef du Montreal Herald, s’emploie (…) à lutter contre les revendications des députés canadiens. Il dénonce entre autres la politique des administrateurs britanniques à l’égard des Canadiens, qu’il qualifie de trop conciliante. » (Fr. B, p.14) C’est vraiment beaucoup de retenue vis-à-vis d’un pamphlétaire virulent, raciste et assoiffé de sang. Est-ce cela qu’on appelle de l’histoire édulcorée?
Parlant de choses édulcorées, les affrontements de 1837 sont réduits à leur plus simple expression. « En novembre, une première bataille s’engage entre les Patriotes et l’armée britannique à Saint-Denis. Les Patriotes remportent la victoire mais, partout ailleurs, les affrontements contre l’armée britannique se soldent par des défaites. Après les batailles, il arrive que les troupes britanniques pillent et incendient les villages. C’est le cas à Saint-Benoît et à Saint-Eustache. » (p.29) Admirez la formule : « Il arrive que… » En réalité, c’est le cas partout.
Dans Fresques A et B (566 pages en tout), il n’y a aucune mention de Jean-Olivier Chénier ni de Thomas Chevalier De Lorimier. Après tout, ce ne sont que des noms de rue, comme dirait Gilles Proulx. Dans le manuel de 4e secondaire, ils seront nommés une fois… pour illustrer la jeunesse des leaders patriotes. L’élément humain en histoire : pfff!
« Dans le Canada-Uni, Londres attribue une représentation politique identique au Canada-Est et au Canada-Ouest. Et ce même si le Canada-Est est plus peuplé. » (p.38) Merci de le souligner, mais « plus peuplé » ou beaucoup plus peuplé? La population du Haut-Canada est de 450 000 et celle du Bas de 650 000, seulement 45% de plus!
Passons sur le procès de Louis Riel, où un détail comme le fait que le jury qui l’a condamné à mort était composé uniquement d’anglophones est laissé dans l’ombre. Passons aussi sur le lynchage politique d’Honoré Mercier, qu’il serait beaucoup trop choquant d’aborder dans un manuel à l’usage de jeunes cerveaux trop influençables…
Sautons au rapatriement de la Constitution de 1982. Si on montre bien que la Constitution a été rapatriée sans l’accord du Québec, on est chastement silencieux sur la « Nuit des Longs Couteaux » de novembre 1981, où les provinces anglophones ont renié leur accord solennel avec le Québec pour s’opposer au rapatriement unilatéral de P. E. Trudeau. Que dalle aussi de l’amenuisement des pouvoirs du Québec!
La campagne référendaire de 1995 a été marquée notamment par le « love-in ». Fresques décrit la chose sans émotion en disant que des milliers de Canadiens anglais se sont rassemblés à Montréal « pour témoigner leur attachement envers les Québécois. » (p. 230) Aurait-il été superflu de préciser que ce rassemblement a été financé illégalement et que l’attachement en question n’était assorti d’aucune concession au Québec?
Tous seront d’accord qu’un manuel scolaire ne doit pas contenir de propagande. Ce n’est pas de cela dont il est question ici. Il est question ici, premièrement, de rapporter tous les faits importants et de ne pas les minimiser à des fins de bonne-ententisme et de rectitude politique. Deuxièmement, il est question du ton employé pour raconter notre histoire nationale. Nous ne demandons pas de revenir à l’époque de François-Xavier Garneau où l’indignation de l’auteur devant l’injustice s’étalait à pleines pages. Mais pourrions-nous nous attendre à un minimum d’empathie de la part d’auteurs qui ne sont quand même pas désincarnés et qui ont à transmettre un héritage? La minéralogie, c’est une chose, mais l’histoire nationale, c’en est une autre!
Claude Richard
Note. À mon avis, le juste milieu se trouvait dans un opuscule publié à l’occasion du référendum de 1995. Dans la Petite Histoire du Québec, Yves Beauchemin faisait un magistral résumé de l’histoire du Québec, d’un ton sobre mais n’omettant aucun fait important. Vivement une mise à jour et une distribution à grande échelle!


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5 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    22 juin 2012

    Notre grande aventure maintenant en ligne
    Avec l’aimable autorisation de la succession de Lionel Groulx et des Éditions Fides, la Fondation Lionel-Groulx est heureuse de mettre en ligne Notre grande aventure. L’empire français en Amérique du Nord (1535-1760). Le livre est maintenant disponible dans la page de notre portail Internet consacrée à l’œuvre du grand historien.
    Titre : Notre grande aventure. L’empire français en Amérique du Nord (1535-1760)
    Lieu de pub. : Montréal
    Éditeur : Éditions Fides
    Année de pub. : 1958
    Nb. de pages : 299 p.
    Éditions : Éditions Fides, 1958, 1976 ; Bibliothèque québécoise, 1990, 1994
    Pour en faire la lecture:
    http://www.fondationlionelgroulx.org/IMG/pdf/lionel-groulx-notre-grande-aventure.pdf
    Hommage à notre grande notre histoire!
    Soldat Sanspareil
    Chevalier de St-Véran
    2ème bataillon du régiment de la Sarre
    Vive le Roy!
    http://www.regimentdelasarre.ca
    http://www.youtube.com/user/SoldatSanspareil
    http://www.tagtele.com/profil/Sanspareil
    http://www.ameriquebec.net/actualites/2009/08/03-rapatriement-des-armoiries-royales-de-france.qc
    François Mitterrand
    Un peuple qui n’enseigne pas son histoire est un peuple qui perd son identité

  • Archives de Vigile Répondre

    22 juin 2012

    Les brillantes victoires françaises de la Monongahéla,, d’Oswego, de William-Henry, de Carillon ne sont nommément pas citées, ni encore moins décrites, ne serait-ce qu’en quelques mots. On a beau ne pas être partisan des guerres ni féru d’histoire militaire, ce sont des faits passés, des actes de bravoure dont pourraient s’enorgueillir les descendants que nous sommes. Mais attention, défense d’être fier dans cette histoire !
    Pour redonnez la fierté à nos ancêtres rapatrions les armoiries royales de France, les armoiries de Québec sur le sol du berceau de la Nouvelle-France.
    http://www.youtube.com/watch?v=ll9ryIwWqWo&feature=plcp
    http://www.tagtele.com/videos/voir/46581
    http://www.vigile.net/Rapatriement-des-armoiries-royales,23317
    Soldat Sanspareil
    Chevalier de St-Véran
    2ème bataillon du régiment de la Sarre
    Vive le Roy!
    http://www.regimentdelasarre.ca
    http://www.youtube.com/user/SoldatSanspareil
    http://www.tagtele.com/profil/Sanspareil
    http://www.ameriquebec.net/actualites/2009/08/03-rapatriement-des-armoiries-royales-de-france.qc
    François Mitterrand
    Un peuple qui n’enseigne pas son histoire est un peuple qui perd son identité

  • Archives de Vigile Répondre

    18 juin 2012

    Normand Lester, Le livre noir du Canada anglais. Qui le connait et pire encore qui s en rapelle...
    Ca ca fait mal a notre histoire aussi
    Merci votre article est dangeureusement pertinent, cafait du bien de voir des aines competents et experimentes s impliquer de plus en plus
    Richard Boutin

  • Raymond Poulin Répondre

    18 juin 2012

    Votre article, qui devrait suffire à scandaliser, à juste titre, les néophytes du sujet, corrobore ce que j’entends de la bouche des étudiants depuis quelques années. Professeur de littérature au cégep, je dois, comme tant d’autres, consacrer plus du tiers du temps, lorsque j’enseigne la littérature québécoise, à faire plutôt des cours d’histoire afin qu’ils puissent saisir la problématique socio-historique des oeuvres en cause et les apprécier dans leur contexte, d’autant plus qu’il n’existe, dans la plupart des programmes et des profils, aucun cours d’histoire obligatoire dans les cégeps mêmes. Pour résumer la réaction de plusieurs étudiants après quelques semaines : «Ce qu’on a appris au secondaire sur l’histoire du Québec et du Canada, c’est de la m..., on nous a pris pour des caves!»
    Or il est absolument impossible que les rédacteurs des manuels que vous citez soient à ce point incompétents ou imbéciles, en dépit de toutes les idioties et insipidités qu’ils pourraient avoir ingurgitées pendant leur formation pédagogique éventuelle. De toute évidence, ils exécutent une commande, et cette commande est strictement politique. Le premier moyen de conditionner un peuple à devenir ce qu’il n’est pas ou, si l’on préfère, à le noyer dans une masse indistincte, consiste à le priver de toute mémoire historique valable et de toute possibilité d’esprit critique sur les plans social, économique, politique et culturel.
    Le deuxième, tout aussi pratiqué ici, c’est de lui enseigner une langue appauvrie et abâtardie, par exemple en le gavant de textes insipides, au vocabulaire limité, et en ne lui enseignant pas davantage que le minimum de syntaxe et de grammaire.
    En complément, il faut noyer toute distinction civilisationnelle et spirituelle. Le cours ECR, vous connaissez?
    On vise ainsi à obtenir des générations dociles, corvéables et manipulables par les pouvoirs économique et politique. D’après ce que j’ai pu en constater, ce n’est pas exclusif au Québec : on peut retrouver la même chose en Europe de l’Ouest, aux États-Unis et au Canada. Bienvenue dans le Nouvel Ordre Mondial!
    Pendant ce temps-là, les tireurs de ficelles envoient leur progéniture dans des écoles particulières aptes à assurer la continuité des classes dirigeantes.
    L'augmentation des frais de scolarité universitaire ajoute un élément à cette stratégie. On n'est jamais trop prudent...

  • Jean-François-le-Québécois Répondre

    18 juin 2012

    Bon. Nos oppresseurs ont compris qu'ils pouvaient s'attaquer à nous, en nous volant notre passé, pour ainsi dire.
    Ce manque relatif de connaissance de notre histoire, est une faille que déjà, les fédéralistes et les Canadians ont su exploiter. Et ils veulent l'aggrandir, cette faille!
    Si les jeunes Québécois ne connaissent pas bien l'histoire du Québec, s'ils ne suivent généralement pas l'actualité (ou ne la suivaient pas avant la présente crise étudiante) ils auront de la difficulté à comprendre le pourquoi du projet souverainiste.