Mémoire collective

Commémorer le Québec pour forger son identité

Coalition pour l’histoire



On pourrait dire du Québec, en reprenant la formule de l'historien français Pierre Nora, qu'il s'agit d'une nation-mémoire. Une nation qui a trouvé historiquement dans la narration de son propre parcours les raisons communes nécessaires à la poursuite d'un destin singulier.
Nécessaires, aussi, à la préservation d'une identité singulière. Une nation qui sait que la mémoire n'est pas qu'un souvenir plus ou moins vague, mais une matière identitaire fondatrice, surtout en démocratie.
Et depuis quelques années, la chose est devenue évidente pour tous. Les enjeux liés à la commémoration historique, à la construction publique d'une mémoire partagée, se sont installés dans l'espace public. Le contexte a aidé. D'abord en 2008, lors du 400e anniversaire de la fondation de Québec, qui aurait pu tourner au désastre commémoratif, avant d'être récupéré dans une logique festive qui en a assuré néanmoins le succès, de même qu'avec la reconstitution projetée de la bataille des plaines d'Abraham, en 2009.
Ensuite s'est posée la question de la commémoration de la Révolution tranquille. Comment la commémorer? Comment un peuple peut-il commémorer une période avec une telle portée fondatrice sur son avenir collectif, et qui continue d'irriguer sa vie démocratique? Comment commémorer une séquence historique qui continue d'appartenir à sa manière aux temps présents?
Entretien du sentiment national
On constate une chose. Les Québécois sont friands d'histoire. Ce qui n'est pas surprenant pour une petite nation aussi attachée à son identité. Chaque année, la Fête nationale, coordonnée avec succès depuis près de 30 ans par le Mouvement national des Québécois (MNQ), nous rappelle à quel point ici le sentiment national n'est pas entretenu artificiellement et à quel point, aussi, il irrigue partout la culture populaire, dans ses nombreuses manifestations, qu'il s'agisse du cinéma ou des nombreux festivals qui valorisent d'une manière ou d'une autre les nombreuses dimensions de notre culture.
Évidemment, la question de la mémoire n'est aucunement exclusive au Québec, même si la question nationale la structure ici de manière tout à fait particulière. En fait, elle traverse toutes les sociétés occidentales. Ces dernières hésitent entre deux visions: l'oubli ou la repentance. Dans le premier cas, le politique se dissout dans le présentisme. Le passé, au mieux, est muséifié. Il n'a plus de pertinence ni de charge existentielle. Dans le deuxième cas, le grand livre du passé se présente comme un livre noir, rempli de reproches et de griefs. La valorisation du passé n'engendre donc aucune fierté, mais paradoxalement, une forme de culpabilisation identitaire.
Il faut donc reprendre à neuf la question de la mémoire publique dans notre société, et situer cet enjeu à la lumière des pratiques commémoratives telles qu'elles existent dans la société contemporaine. Autrement, qui dit commémoration dit également politique de commémoration. Mais comment commémorer sans muséifier? Comment mobiliser la mémoire collective et la remettre à l'avant-plan dans la mise en scène de l'identité collective? Car il ne suffit pas d'enseigner l'histoire comme on a quelquefois tendance à le croire. Il faut aussi l'habiter.
Désert commémoratif
Le MNQ s'est penché sur cette question avec une attention constante depuis plusieurs années. Cela l'a amené à soutenir une étude sur la question, qui comparait les pratiques commémoratives dans plusieurs sociétés ressemblant d'une manière ou de l'autre au Québec. Et c'est une évidence qui s'est imposée: sur le plan institutionnel, le Québec est un désert commémoratif. Si on trouve au Québec comme ailleurs des pratiques commémoratives, on ne trouve aucune politique de commémoration structurée susceptible de revaloriser l'usage public de la mémoire.
Il importe donc de développer une authentique politique de commémoration correspondant à la mission identitaire de l'État québécois. Car ce dernier a un rôle fondamental à jouer dans la préservation de la mémoire collective, qu'il s'agisse de celle de la Nouvelle-France, du régime anglais, du Canada français ou du Québec moderne. C'est sa propre légitimité nationale que confirmerait l'État québécois en mettant de l'avant une politique de commémoration qui rappellerait ainsi qu'il représente non seulement une instance administrative parmi d'autres, mais l'incarnation politique d'un peuple, d'une expérience historique.
Il importe donc que l'État québécois mette en place une telle politique. D'abord, il doit toutefois en reconnaître la légitimité. Dans une première étape, il serait nécessaire de rassembler les acteurs de la société civile qui ont développé au fil des années une expertise commémorative. Cela permettrait à l'État québécois de développer une expertise commémorative qui lui donnerait l'occasion d'identifier les grands moments à commémorer, les événements, les personnages, les périodes de notre histoire qui méritent d'être soulignés dans la mémoire publique.
Dégradation de la mémoire
On imagine très bien, d'ici là, une série de projets-pilotes qui pourraient miser sur les activités commémoratives déjà présentes au Québec. On pensera notamment au Jour du drapeau, le 21 janvier, ainsi qu'à la Journée nationale des patriotes. La première permet au peuple québécois de se rassembler autour d'un symbole qui puise dans les profondeurs de son histoire. La seconde nous rappelle la quête de l'émancipation nationale et démocratique qui traverse la conscience historique québécoise.
On pensera aussi à la Journée internationale de la francophonie, qui a lieu chaque année le 20 mars, qui rappelle annuellement que le Québec participe à une civilisation plus large, celle des peuples de langue française. Une autre mesure à envisager pourrait aussi être une remise en valeur de la mémoire des premiers ministres du Québec. Le mauvais sort réservé actuellement à la Maison Honoré-Mercier devrait suffire à nous alerter sur la dégradation publique de la mémoire de ceux qui ont servi le Québec dans ses plus hautes fonctions.
Il ne s'agit pas de proposer une politique de commémoration clés en main, mais de convaincre l'opinion publique de l'importance vitale de la question de la commémoration dans la défense de l'identité québécoise. Il s'agit de convaincre les décideurs de la nécessaire ouverture du chantier de la commémoration dans notre société. Le MNQ ne doute pas un seul instant qu'une telle politique correspondrait aux attentes les plus profondes de notre peuple.
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Chantale Trottier - Présidente du Mouvement national des Québécois


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