L'auteur soutient qu'il ne s'agit plus seulement de défendre le français comme langue publique commune, selon la formule consacrée, mais comme langue nationale porteuse d'une expérience historique, d'une culture à réinvestir dans l'espace public et la citoyenneté québécoise. Photothèque Le Soleil
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Il semble bien que nous assistions à une renaissance de la question linguistique dans sa forme la plus classique. Avec son jugement invalidant la loi 104, la Cour suprême reprend son rôle historiquement connu dans la déconstruction des lois linguistiques québécoises. Cela parce que la Cour suprême est d'abord une instance politique appelée à consolider juridiquement la refondation trudeauiste de la fédération canadienne.
On ne doit jamais oublier que le Canada s'est refondé explicitement en 1982 contre la nation québécoise ni négliger sa prétention à se constituer autour de la langue et de la culture françaises comme norme d'intégration collective. Les conséquences de cette refondation ne sont pas épuisées. La souveraineté canadienne s'exerce naturellement contre la démocratie québécoise lorsque celle-ci prétend assurer la conservation de l'identité nationale qui prend forme à travers elle.
Démantèlement accéléré
Plusieurs arguments ont déjà été amenés dans le débat public pour condamner ce jugement de la Cour suprême qui va contre le compromis linguistique québécois. D'abord, ce jugement accélère le démantèlement du dispositif linguistique mis en place pour assurer la perpétuation de l'identité nationale québécoise. La loi 104 ajustait la loi 101 aux nouvelles tendances démographiques et linguistiques de la société québécoise en colmatant une brèche majeure qui s'était dévoilée dans la Charte de la langue française.
On peut craindre à terme une accélération de la saignée vers l'école anglaise et plus encore dans la région métropolitaine, celle qui accueille l'immense majorité des nouveaux arrivants. La dénationalisation de la métropole en sera l'inévitable conséquence. De même, ce jugement de la Cour suprême normalise une voie de contournement légale des lois linguistiques québécoises en donnant à ceux qui en ont les moyens la possibilité de s'acheter un droit. On falsifie ainsi l'égalité devant la loi en marchandant les droits, ce qui n'est pas seulement une aberration légale, mais une aberration morale.
Judiciarisation de la question linguistique
Enfin, ce jugement qui invalide la loi 104 en la qualifiant de déraisonnable et qui en appelle à un traitement au cas par cas des situations problématiques risque d'accentuer la judiciarisation de la question linguistique, ce qui revient à la soustraire à la délibération démocratique. Les Québécois ne devraient pas être dépossédés de leur souveraineté sur une question aussi fondamentale. Il ne faut pas négliger néanmoins le nouveau contexte politique dans lequel se situe la question linguistique et la nécessité pour le Québec d'en tenir compte.
Au vieux conflit historique entre le Québec français et le Canada anglais s'ajoute la contradiction de plus en plus évidente entre l'identité nationale et le multiculturalisme. Car les droits linguistiques se recomposent aujourd'hui à travers la matrice de la «diversité», qui masque pratiquement la conversion de la société québécoise au multiculturalisme. Plus souvent qu'autrement, ce sont des arguments relevant de l'idéologie multiculturaliste qui sont mobilisés contre les mesures proposées pour assurer la protection de la langue française et de l'identité qu'elle exprime. On en a même entendu dire qu'il fallait désormais respecter le caractère bilingue et multiculturel du Québec, comme si ce dernier devait intérioriser dans ses institutions l'idéologie canadienne de 1982...
Redressement national
Dans un tel contexte, le Québec doit moins chercher à faire valoir la légitimité de ses lois linguistiques à l'intérieur du système idéologique dominant en prouvant que la défense du français respecte les préceptes du multiculturalisme que prendre de front ce dernier en faisant de la défense de son identité collective le coeur d'une entreprise de redressement national. C'est ici que la controverse renaissante sur les cégeps français gagne une immense fonction pédagogique.
Ceux qui encore hier s'opposaient à cette mesure de salut national la reconnaissent désormais comme telle. Il n'y a aucun sens à ce que les institutions publiques contribuent à la dénationalisation de la métropole. Il n'y a aucun sens à ce que les institutions québécoises travaillent à la fragmentation communautaire de la société québécoise en limitant l'intégration des nouveaux arrivants à la majorité francophone. Plusieurs autres mesures devront être mises de l'avant pour renforcer la dynamique d'intégration du français au Québec.
La renaissance de la question linguistique s'inscrit dans la renaissance plus profonde de la question identitaire. Il ne s'agit plus seulement de défendre le français comme langue publique commune, selon la formule consacrée, mais comme langue nationale porteuse d'une expérience historique, d'une culture à réinvestir dans l'espace public et la citoyenneté québécoise. La défense de l'identité québécoise dans ses dimensions historique, culturelle et linguistique devra désormais être au centre de la remise à jour du nationalisme québécois.
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Chantale Trottier, présidente
Mouvement national des Québécoises et Québécois
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